Le Gwenn ha Du fête son centenaire

drapeau breton

Il est chez lui en Bretagne, flottant sur la façade des mairies, présent à tous les événements régionaux, à commencer par le Festival interceltique de Lorient ou les Vieilles Charrues à Carhaix, mais aussi dans les fest noz ou les pèlerinages, Tro Breizh et pardons, où il accompagne les bannières aux effigies des saints locaux. Exprimant le caractère frondeur des Bretons, on l’a vu flotter dans toutes les grandes manifestations, depuis celles qui protestaient contre la loi Taubira dénaturant le mariage en 2013 à celles contre la réforme des retraites, dix ans plus tard, en passant par les gilets jaunes et – bien sûr – les bonnets rouges. Le drapeau breton, ou « Gwenn ha Du » (« Blanc et Noir », en français) a cent ans cette année.

Il est conçu sur un modèle inspiré des drapeaux américain et grec. Neuf bandes représentent les évêchés de Bretagne : les quatre blanches pour les bretonnants (parlant breton) : Vannetais, Cornouailles, Léon et Trégor ; et cinq pour les pays parlant gallo (langue d’oïl, romane et non celtique) : Pays rennais, nantais, de Dol, de Saint-Brieuc et de Saint-Malo. En outre, figurent dans le canton du drapeau onze hermines, pour rappeler le symbole ducal. Avec le drapeau corse à tête de Maure, c’est le seul emblème au monde à ne pas avoir de couleurs (le blanc et le noir n’en étant pas). L’usage veut qu’il soit porté à bout de bras, au-dessus de la tête.

Comment expliquer qu’il soit aussi récent ? Cent ans d’existence, seulement, alors que les Bretons ont émigré de Grande-Bretagne en Armorique aux Ve et VIe siècles, que Nominoë a fondé le royaume de Bretagne au IXe siècle et qu’Alain Barbetorte en est devenu duc au Xe ! C’est qu’en réalité, d’autres emblèmes ont précédé le Gwenn ha Du. Ainsi, le Kroaz Du (« Croix Noire »), drapeau ducal, date peut-être du XIIe siècle et son existence est attestée au XVe.

Un autre emblème, qualifié en héraldique « d’hermines plain », tirerait son origine, selon la légende, de l’admiration d’Anne de Bretagne (1477-1514) pour une hermine qui, lors d’une chasse, aurait préféré se laisser tuer par les chiens que de tacher sa fourrure – blanche l’hiver à l’exception du bout de la queue, qui reste noir – en fuyant à travers une mare boueuse. La duchesse aurait sauvé le petit mammifère et adopté comme symbole de son duché la devise « Potius mori quam foedari » (« Plutôt la mort que la souillure »). Selon une autre tradition, c’est le duc Alan II, dit Alain Barbetorte, qui, avant une bataille contre les Vikings, aurait vu une hermine faire tête à un renard dans les mêmes circonstances. En réalité, l’apparition de l’hermine sur le blason de la Bretagne, symbole de pureté, est antérieure. Elle daterait du duc Pierre Ier, dit Pierre Mauclerc (1187-1250).

Au cours du XIXe siècle, le drapeau semé d’hermines des ducs de Bretagne fut adopté par les groupes et sociétés attachés au maintien de l’identité bretonne, popularisée par les écrits d’auteurs comme Anatole Le Braz ou Théodore de La Villemarqué, auteur du Barzaz Breiz.

Il existait donc déjà des drapeaux bretons lorsqu’en 1923, le militant breton Morvan Marchal créa l’actuel Gwenn ha Du. Proche de l’Action française à l’origine, Marchal avait été l’un des cofondateurs, en 1918, du Groupe régionaliste breton. Cette proximité initiale avec le mouvement royaliste animé par Charles Maurras n’est pas surprenante et l’on oublie trop souvent que la droite nationaliste se montra très favorable aux mouvements régionalistes. Amoureux de sa petite patrie provençale, Maurras était un félibre et prônait la restauration d’une monarchie décentralisée.

Marchal évolua par la suite vers l’autonomisme et, parallèlement, vers la gauche, la franc-maçonnerie et le socialisme. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il adhéra au RNP de Marcel Déat, ce qui lui valut d’être condamné à une peine d’indignité nationale à la Libération. En 1923, son évolution vers la gauche était déjà largement entamée et il souhaitait, en modernisant le drapeau breton, rompre avec l’emblème historique semé de mouchetures d’hermines, qui rappelait les fleurs de lys.

On peut, certes, préférer les drapeaux plus anciens, chargés d’Histoire – et j’ai personnellement été enchanté de défiler, voilà deux ans, sous les plis du Kroaz Du, mais l’actuel Gwenn ha Du est vite devenu très populaire auprès des Bretons. Dès 1925, deux ans seulement après sa création par Morvan Marchal, il flottait au-dessus du pavillon de la Bretagne à l’exposition des Arts décoratifs, à Paris. Depuis, sa popularité n’a pas cessé de croître.

Éric Letty
Éric Letty
Journaliste

Vos commentaires

16 commentaires

  1. Ce drapeau est présent chez moi, j’aimerais qu’il soit sur les émoticones des claviers d’ordinateurs pour m’identifier davantage. Tout ma famille est d’origine bretonne depuis bien longtemps, elle s’est éparpillée un peu partout.

  2. J’ai défilé – enfin, participé à de nombreux pardons : toujours sous la bannière « aux hermines », jamais sous la « Gwen Ha Du » : trop connoté après la guerre 39-45… et la « claustration » en son évêché de François Serrand, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier, imposée à la Libération (l’un des rares évêques condamnés en 1945).
    Et je reste fidèle aux « historiques hermines »… même si le « symbole des 9 évêchés » me plaît beaucoup. Ce que c’est que d’être attaché à la tradition !

  3. il me semblait que le Gwenn ha Du avait état créé par anti cléricalisme.
    C’est pourquoi moi, qui ne suis ni breton, ni même croyant, j’ai sur mon bateau basé en bretagne le blanc avec hermines

    quand à la boutique bretonnante j’ai voulu l’acheter, et j’ai dit : « je voudrait le vrai », il a failli faire une syncope

  4. La popularité n’a jamais un critère d’excellence, cela se saurait. Je pense cependant que le drapeau de l’amirauté de Bretagne est bon compromis, notamment pour les cités à vocation maritime. Les compromissions de Marchal restent dans beaucoup de mémoires et peuvent difficilement faire l’unanimité, le gwen ha du n’est pas vierge de tout reproche. Le drapeau de l’amirauté, lui, n’a pas grand chose à se reprocher.

  5. Je connaissais l’histoire .Je suis heureux qu’elle ressorte . Je la diffuse auprès de mes correspondants bretons et français …

  6. Je salue les Bretons , mes cousins, étant moi-même un Celte avec des ancêtre Ecossais. Mon pavillon est celui qui porte la Croix de Saint-André !

  7. M.Letty votre article est excellent et parfaitement documenté. Tout comme vous je préfère le Kroaz Du qui réapparaît très heureusement. Sinon que dire? Les drapeaux des régions sont importants. Ils le sont doute plus dans des régions marquées par une forte identité qui s’appuie comme pour la Bretagne ou la Corse ou le pays Basque sur une langue et de fortes traditions. N’oublions pas les autres régions qui ont elles aussi leurs flammes tout aussi jolies qui rassemblent sur tout le territoire des populations aux traditions vivaces. Le régionalisme reste l’armature de la France si celle-ci ne veut pas être noyée dans le multiculturalisme et disparaître dans le grand melting pot.

  8. Dommage que le drapeau en tête d’article ne soit pas le reflet de l’article : 7 bandes au lieu de 9 !
    Très intéressant cet historique qui nous montre comment un drapeau peut traverser de part en part le spectre politique.
    Beaucoup continuent à assimiler ce drapeau à sa droite originelle et ne comprennent pas pourquoi les musulmans envahissent la Bretagne, maintenant tout le monde aura compris puisque le Gwen ha Du est passé de royaliste à gauchiste…

  9. A la poupe de mon bateaux, blanc de coque, noir de liston, Flotte le Kroaz Du, pas l’autre qui ressemble le trop au drapeau des Yankee.

  10. Dommage que les Bretons laissent leur image se dégrader sous l’action des black bock et autres zadistes.

  11. Erreur psycho-physique : Le blanc est obtenu par la confusion de toutes les couleurs alors que le noir est la rigoureuse absence de toute couleur . Ainsi, parler d’un « homme de couleur » pour dire qu’il est noir de peau est une erreur absolue de sémantique . J.B.

  12. Et l’ancrage politique à gauche de la Bretagne a fait la Bretagne d’aujourd’hui , avec une forte proportion d’immigrés musulmans , combien interdit de savoir , et avec une forte proportion d’agités violents d’extrême gauche .

  13. Bravo ! Très documenté ! Moi qui suis née là-bas loin (Finistère), je ne savais pas tous des détails. Merci !

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois