Le coup d’État de Rostov va-t-il déclencher la liquéfaction de l’Empire russe ?

prigogine

Le samedi 24 juin au matin, les Occidentaux se sont réveillés avec les bruits de bottes à Rostov où Evgueni Prigojine vient de prendre le contrôle du poste de commandement et de l’aéroport. Ce sexagénaire plus connu pour ses actions en Afrique et par ses dithyrambes antigouvernementaux que par un quelconque génie politique vient de franchir le Rubicon. On sait que Prigojine n’est pas des plus fréquentables : lorsque il assène, en novembre dernier, des coups de masse mortels sur la tête de l’un de ses déserteurs, il ne montre pas les qualités que l’on pourrait être en droit d’attendre d’un futur chef d’État.

Alors certes, Pierre le Grand aurait tué de ses mains son propre fils, le tsar Alexandre Ier aurait participé directement à l’assassinat de son père et la Russie depuis longtemps n’est pas gouvernable par une démocratie à l’occidentale. L’avocat Menchevik Kerenski en sait quelque chose, puisqu’il dut fuir aux États-Unis une fois que Lénine eut réalisé son coup d’État en novembre 1917. Pour les Occidentaux, la fragilisation du pouvoir « poutinien » est une aubaine, mais sauront-ils en tirer partie ? Si les Ukrainiens réussissent à dissocier le pouvoir insurrectionnel installé, vendredi soir, à Rostov, du reste de la Russie pour signer un armistice, même provisoire, alors ce serait déjà un grand pas en avant. Ce qui est certain, c’est que la plupart des grandes villes russes, à l’aune de Moscou, vont être mises en état d’urgence pour éviter que le mouvement de Prigojine ne s’étende ailleurs dans toutes les Russies. Poutine a téléphoné, samedi matin, à Loukachenko, le président inamovible de Biélorussie, pour s’assurer que l’autre Russie encore sous son influence ne bouge pas.

Que pourraient donc faire les Occidentaux, face à ce début de guerre civile en Russie ? Première solution : l’inaction, faute de relais d’influence dans un camp ou dans un autre. Cette solution attentiste chère au « bon Monsieur Queuille » de la IVe République semblerait convenir à l’opinion publique de part et d’autre de l’Atlantique, plus encline à préparer ses vacances qu’à préparer la prochaine guerre mondiale. La deuxième solution serait d’aider l’un ou l’autre des protagonistes, Poutine ou Prigojine, pour préparer sur de nouvelles bases un cessez-le-feu et, qui sait, peut-être un traité de paix en Ukraine ? Ne rêvons pas, mais il s’agirait alors pour nos chancelleries de ne pas « miser sur le mauvais cheval ». En 1919, les Occidentaux avait prêté leur concours aux troupes blanches tsaristes contre les troupes rouges de Trotski et de Lénine et avaient fait le « mauvais choix ». Wait and see semble encore aujourd’hui la meilleure solution en attendant de voir si Poutine réussit ou non à étouffer dans l’œuf ce ferment de guerre civile.

Prigojine, ce « triste bouffon » mis en valeur par son propre réseau médiatique, est à la tête aujourd’hui d’un empire financier qui doit tout au gouvernement russe du président Poutine. Il serait à la tête d’une armée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, prêts à donner leur vie pour la Russie. Ses hommes sont à l’origine du succès de Bakhmout, il y a quelques semaines, et aujourd’hui, le pouvoir russe semble pouvoir se passer de son soutien pour mener son combat défensif contre les Ukrainiens depuis le début du mois de juin. Ces mercenaires, de plus, ne seraient plus payés à partir du 1er juillet prochain s’ils ne rejoignent pas les forces conventionnelles car l’État russe a bloqué les comptes de Prigojine en Russie.

Le combat défensif des forces conventionnelles russes ne semble pas trop mal réussir, à l’heure qu’il est. Et c’est ce moment, précisément, que choisit Prigojine pour franchir le Rubicon. Comme c’est curieux ! S’il n’a pas lu Machiavel, cet « ancien cuisinier de Poutine » doit se douter qu’un chef militaire devient encombrant pour le prince, surtout s’il est victorieux. Il sait aussi qu’il peut aujourd’hui disposer de soutiens dans les élites russes qui préféreraient continuer à faire des affaires qu’à envoyer leurs fils mourir en Ukraine. Les « damnés de la Terre » qui constituent le gros des troupes de Prigojine savent se battre et sont prêts à sacrifier leur vie à Rostov comme ils l’ont fait à Bakhmout. Actuellement, les militaires russes conventionnels ne semblent pas avoir opposé une quelconque résistance à leurs « frères d’armes » de Wagner.

Alors, il est urgent d’attendre les prochains jours, de voir comment la communauté internationale va devoir gérer cette nouvelle situation géopolitique dans la première puissance nucléaire du monde. Poutine va-t-il surenchérir en faisant monter d’un niveau l’escalade nucléaire ? Va-t-il, au contraire, tenter de préserver sa situation au Kremlin tout en poursuivant sa défense en Ukraine occupée. Les mercenaires de Wagner vont-ils poursuivre la guerre contre les Ukrainiens ou se contenter d’être les prétoriens d’un nouveau régime. « Tout empire périra », avait déjà annoncé l’historien français Jean-Baptiste Duroselle, en 1981, en pensant très fortement à l’Union soviétique. Aujourd’hui, la liquéfaction déjà annoncée de l’Empire russe pourrait bel et bien débuter devant nos yeux incrédules alors que notre attention est encore divertie par d’autres situations moins urgentes quoique l’on puisse en dire. Cet été promet, il est sûr, d’être chaud !

Vos commentaires

58 commentaires

  1. Soulèvement d’opérette si ce n’est la mort de deux équipages d’hélico envoyés contre Prigojine… La question est celle de l’intégration de Wagner sous le commandement du ministère de la défense..ce qui enlève à Progojine une partie des troupes de son business très juteux. Poutine a profité de cette autonomie mais elle a une fin.

  2. Allez faire un tour pour voir les commentaires des articles sur l’Ukraine sur le site du figaro.
    C’est affligeant!
    Les fabriques à trolls des deux côtés du rideau de fer fonctionnent à plein régime.
    Je suis bien content que ce ne soit pas le cas ici.

  3. Signalons qu’aux dernières nouvelles hier soir 24 juin, le dissident putschiste a déclaré forfait :  » pour éviter un bain de sang à la Russie » Et ses soldats se sont gentiment repliés en ordre, laissant nouveau libres les voies de circulation de la région où ils ont stationné momentanément.
    Ce geste patriotique entrainera t il un pardon de Poutine ???

  4. Les mercenaires se vendent aux plus offrants. Jusqu’où vont monter les enchères? Dans quelles poches va aller notre argent donné à l’Ukraine? « Un pour tous, tous pourris » Qui disait cela?

  5. Poutine a fait une belle pièce de théâtre et tout les monde a marché à fond!
    En 24h, il a vérifié la loyauté de ses voisins, et il a fait sortir toutes les taupes du terrier qui se sont précipités au côté de son faux ennemi.
    Maintenant il sait exactement qui est qui.

  6. Prigojine est prié d’aller se faire oublier en Biélorussie…Info toute récente…Fin de « Coup d’Etat » ! La Russie sage…

  7. Que chacun se rappelle:
    « On ne peut comprendre la Russie par la voie de la raison, on ne peut pas la mesurer, elle a un caractère particulier, on ne peut que croire en elle ! » Fyodor Tyutchev – 1866

  8. Parler pour ne plus rien dire faute de suite. L’actualité va si vite, mon cher monsieur, et surtout n’attend pas que les « experts » sortent leur porte-plume.

    • La Russie a une histoire tellement complexe et tourmentée qu’il faut vraiment être un, « expert » pour pouvoir en parler correctement. Essayez de trouver le livre « Russka » de Edward Rutherfurd. Histoire de la Russie de 180 ap. J-C jusqu’à avril 1992. Une histoire passionnante qui vous emmènera dans un monde inconnu et vous fera découvrir Mongols, Tatars, Khans, Cosaques, géographie, conflits etc…Récit passionnant et très bien écrit. On a du mal à fermer le livre.

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