Le Conseil constitutionnel pourrait-il empêcher Le Pen, Mélenchon ou Zemmour d’appliquer leur programme ?

Très actif, ce conseil des sages. Mais surtout très politique.
FABIUS

On parle beaucoup du Conseil constitutionnel, ces derniers temps. Pour les parrainages, les nominations très politiques de ses nouveaux membres ou la censure, ce vendredi, d'une disposition sur la conservation généralisée des données de connexion sur le Net. Très actif, ce conseil des sages. Mais surtout très politique. La séquence Covid a montré qu'il n'avait posé aucune limite aux restrictions des libertés, validant sans ciller le passe sanitaire, cet été. Et si l'opposition osait déférer une loi, son ancien secrétaire général se fendait d'un papier dans Le Monde pour menacer cette opposition quand elle reviendrait au pouvoir.

C'est dans cette ambiance ultra-démocratique que L'Express a jeté, mercredi, une bombe qui n'a pas éclaté, recouverte par celles de la guerre en Ukraine : « Zemmour, Le Pen, Mélenchon... Comment le Conseil constitutionnel pourrait contrer leurs plans - L'institution confirme à L'Express que les candidats devront obtenir l'aval du Sénat pour faire appliquer certaines mesures de leur programme. Une prise de position inédite. » Les choses sont claires et le « inédite » est un bel euphémisme.

De quoi s'agit-il donc ? De la doctrine de Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, en matière de référendum. Formulée en février 2020 au moment de la privatisation d'Aéroports de Paris (« Le référendum de l'article 11 ne peut être utilisé pour réviser la Constitution. Pour cela, il faut utiliser l'article 89 ») et réaffirmée le 25 janvier dernier : « Ceux qui, comme le général de Gaulle en 1962 avec l'élection du président de la République au suffrage universel, estiment pouvoir s'appuyer sur l'article 11 et le seul référendum pour réviser la Constitution ont tout faux. D'abord, parce que n'est pas le général de Gaulle qui veut. Ensuite, parce que toute révision de la Constitution doit se fonder non sur l'article 11 mais sur l'article 89. »

Autrement dit, en fermant ainsi au futur président de la République la possibilité de recourir au référendum par l'article 11, qui lui permet de se passer de l'aval des deux assemblées et donc du Sénat, qui ne serait pas forcément favorable au Président élu, Laurent Fabius souhaite empêcher Mélenchon d'instituer sa VIe République, mais surtout Zemmour ou Le Pen de modifier la loi française en matière d'immigration, de regroupement familial, de droit du sol. Sous le quinquennat d'Emmanuel Macron et avec la présidence de Laurent Fabius, le Conseil constitutionnel a une fâcheuse tendance à tordre le droit et la Constitution pour faire de la politique. Pour Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à Lille cité par L'Express, « ce raisonnement est implacable juridiquement, même s'il “pose un vrai problème démocratique” ».

Le journaliste de L'Express est bien obligé de reconnaître le problème, tout comme le juriste interrogé. « Tout cela ne signifie pas que ces réformes n'ont pas lieu d'être : simplement que la procédure pour les mettre en œuvre doit passer par le filtre du Parlement. Un filtre qui pourrait s'avérer étanche, sauf à ce que le Sénat accepte de se plier à la logique politique du moment. “Dans le cas d'un programme victorieux à la fois lors d'une présidentielle et des élections législatives qui suivent, le Sénat aurait une forte pression pour permettre à celui-ci de s'appliquer”, prévient Jean-Philippe Derosier. »

Ne doutons pas que le Conseil constitutionnel aurait aussi « une forte pression » et que Laurent Fabius serait peut-être amené à revoir son interprétation.

Il est en tout cas scandaleux qu'il laisse entrevoir avant l'élection que ses abus d'interprétation puissent devenir, en cas d'élection de Marine Le Pen ou d'Éric Zemmour, un (nouvel) abus de pouvoir de sa part. Ce nouveau signe de la politisation du Conseil constitutionnel, après la crise Covid, ne rend pas l'institution très populaire ni très crédible et ne fait que la fragiliser alors qu'elle avait acquis un certain respect sous les présidences Mitterrand et Chirac, permettant aux majorités d'alternance d'appliquer leur programme.

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Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

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