On reconnaît, dit-on, un arbre à ses fruits. À quoi, donc, reconnaît-on une société humaine organisée, si ce n’est à sa Constitution naturelle, à la valeur qu’elle accorde aux règles non écrites du Beau, du Vrai et du Bien ?

Telle est, précisément, la question qui se pose solennellement, à quelques heures de l’exécution létale de Vincent Lambert, par le médecin de l’hôpital de Reims qui a fait savoir qu’il appliquerait sans faiblesse l’ordonnance du Conseil d’État, en infligeant la mort à son patient par sédation profonde, le 20 mai prochain. Rappelons que le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU, saisi par les avocats de Vincent, avait accordé, le 3 mai, le bénéfice de mesures conservatoires en vertu de la Convention relative aux droits des personnes handicapées signée par la France en 2010. Il vient de réitérer sa demande à la France de maintien provisoire des soins.

Le 24 avril dernier, la haute juridiction administrative statuant en référé (trois juges) avait confirmé le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 31 janvier 2019, qui validait lui-même l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent. Pour les robins du Palais-Royal, deux éléments venaient conforter cette peine capitale. D’une part, l’état végétatif chronique de profondeur stable consécutif à des lésions cérébrales graves, étendues et irréversibles, autant d’éléments constituant des « indicateurs d’un pronostic clinique négatif ». D’autre part, la volonté manifestée par Vincent Lambert avant son accident, « qui n’aurait pas voulu vivre dans de telles conditions ».

On se souvient que, le 29 septembre 2008, Vincent Lambert est victime d’un accident de voiture. Hospitalisé au service de réanimation du Centre hospitalier de Châlons-en-Champagne, il est alors plongé dans un état de coma profond dont il émergera pour se retrouver en « état pauci-relationnel », ou état de « conscience minimale plus ». Depuis lors, ses parents et leurs avocats se battent pied à pied contre les institutions médicales et judiciaires pour que l’ancien infirmier psychiatrique ne soit pas euthanasié malgré son handicap.

Dimanche 19 mai, la mère de Vincent Lambert se rendra, à 15 h, devant l’hôpital de Reims pour supplier l’équipe médicale de continuer à hydrater et nourrir son fils tétraplégique… Précisons que l’hôpital fait l’objet, pour l’occasion, d’une mesure Vigipirate de « sécurité renforcée, risque attentat ».

Le geste de Mme Lambert fait douloureusement écho au cri d’Antigone s’élevant contre le tyran Créon qui refusait une sépulture à son frère Polynice. Il montre que notre société postmoderne, drapée dans la vanité immaculée de ses droits de l’homme universels, sûre de son bon (État de) droit, n’est, in fine, pas moins tyrannique que le dernier roi de Thèbes. Elle est même pire que lui car, en toute bonne conscience, elle conjugue la cruauté à la tartuferie cynique en faisant passer le handicap d’un malheureux, certes très lourd, pour une maladie incurable.

Cela dit, on aurait tort de taxer Viviane Lambert d’anarchisme, de rébellion aux lois de l’État et aux sentences de ses tribunaux. Boursouflées d’orgueil, nos sociétés oublient qu’« un simple édit, même royal, n'est pas assez fort pour infirmer les principes inécrits, ces données synthétiques de l'Ordre, ces hautes traditions des Autels, des Foyers, des Tombeaux, dont nul ne connaît l'origine et auxquels la simple décision d'un homme ne peut se comparer » (Charles Maurras, Antigone, Vierge-Mère de l'Ordre, 1944).

Nous en appelons au droit de grâce du président de la République, sauf à encourir les déchaînements courroucés des Érinyes – ces Furies de la Rome antique qui pourchassaient ceux qui avaient enfreint les lois de l'ordre moral…

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18 mai 2019 à 9:00

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