La généralisation du télétravail va-t-elle amener une vague de délocalisations ?

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La crise du Covid 19 a mis en avant le télétravail, surtout pour les cadres, au point que certains, définitivement conquis, vont privilégier cette organisation du travail afin de fuir le triptyque « auto-métro-boulot-dodo » et économiser surtout le temps de transport.

Or, cette nouvelle tendance pourrait avoir des conséquences néfastes : jusqu’à présent, les emplois délocalisés dans des pays à bas coûts salariaux étaient, avant tout, des emplois peu qualifiés. Au-dessus d’un certain niveau de compétence, quand les entreprises ne trouvaient pas les spécialistes dans l’État où elles étaient implantées, elles faisaient venir des jeunes diplômés de pays émergents. Le salaire de ces derniers était donc le même que ceux de leurs collègues occidentaux et ils dépensaient leurs revenus dans les économies développées, permettant ainsi de soutenir notre train de vie.

Or, si on en croit un article du Monde, tout risque de changer avec l’irruption en force du télétravail : le capitalisme n’ayant aucun état d’âme et cherchant avant tout son profit, il risque de se réorganiser. Entre un ingénieur domicilié dans la Creuse, qu’il faut payer 3.000 € par mois, et un confrère indien qui ne demande que 200 €, le second sera embauché avec, en principe, la même efficacité puisque tout passera par Internet. Cette délocalisation, si elle prenait trop d’ampleur, sonnerait le glas de notre économie puisque notre train de vie dépend avant tout de la production réelle effectuée chez nous. Nous risquons de perdre une bonne part de la plus-value apportée par les techniciens et les ingénieurs. Or, en dehors d’eux, nous ne produisons plus grand-chose.

Heureusement, il faut nuancer le tableau. Le télétravail ne pourra jamais être total et supplanter entièrement la vie de bureau. D’abord, le télétravail isole et risque d’accentuer l’aliénation due au travail. De combien de burn out supplémentaires sera-t-il responsable ? Ensuite, une téléconférence par écrans interposés ne vaudra jamais une rencontre réelle ; on perd, par ce biais, beaucoup de temps tandis que nombre d’informations ne passent pas ou sont transmises tardivement. En outre, rien ne vaut une rencontre autour de la machine à café pour débloquer un projet. Aussi, ceux qui envisagent de télétravailler prévoient-ils souvent de passer deux ou trois jours par semaine au bureau. Comme on ne pourra jamais faire la même chose si on recrute un employé en Inde ou en Indonésie, cela limitera, de ce fait, la délocalisation.

En outre, cette concurrence des ingénieurs « low cost » existe depuis longtemps et le capitalisme les a déjà intégrés dans sa manière de travailler. Nombre de développeurs qui écrivent des kilomètres de programmes sont installés en Inde. Il est à noter que, le plus souvent, les concepteurs restent en France et que la pratique du développeur lointain a tendance à se restreindre et à stagner. De même, beaucoup de bureaux d’études font dresser des plans des équipements qu’ils sont chargés d’étudier par des équipes résidant hors des pays occidentaux, mais ces méthodes ont des limites : on l’a vu avec le fiasco du Boeing 737 Max, dont la conception a été décentralisée au moindre coût et qui présente nombre de problèmes peut-être irrémédiables.

Christian de Moliner
Christian de Moliner
Professeur agrégé et écrivain

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