Jeannot Szwarc, ce Français qui réalisa une saison de Columbo, n’est plus

C’est l’effet Édith Piaf, morte le même jour que Jean Cocteau, ou Jean d’Ormesson, parti en même temps que Johnny Hallyday : un mort fait oublier l’autre. Ainsi, ce 15 janvier, le metteur en scène David Lynch nous quittait et il n’y en eut que pour lui, même en ces colonnes. Cruelle injustice, sachant que ce même 15 janvier, son homologue français Jeannot Szwarc tirait lui aussi son ultime révérence, à l’âge vénérable de 87 ans, dans sa maison de Loches, en Touraine.
La tombe du cinéaste inconnu ?
De sa vie privée, on ne sait quasiment rien, au contraire de celle de David Lynch, dandy élégant ayant multiplié les conquêtes de haut vol, dont la sublime Isabella Rossellini. Imdb, le site de référence en la matière, nous dit seulement que Jeannot Szwarc a été marié deux fois, la première avec une certaine Cara de Menual, inconnue au bataillon, et la seconde avec Maud Strand, actrice très vaguement connue pour de modestes troisièmes rôles dans quatre séries télévisées et un seul film, Quelque part dans le temps (1980), sur lequel nous reviendrons. Quant à sa fiche Wikipédia, on y apprend qu’il est d’origine polonaise par son père et que le défunt a eu un fils, Sacha, devenu monteur dans le cinéma. C’est mince.
Et dans la « grande presse » ? Rien, à l’exception notoire de nos confrères de Mad Movies, magazine spécialisé dans le cinéma fantastique, qui vient de consacrer cinq pages au disparu. Mais il est vrai que cette revue est autrement plus cinéphile que, mettons… Télérama. En effet, malgré son évident manque de notoriété, cet homme n’était pas exactement le premier venu, s’agissant du cinéaste français ayant le plus tourné à Hollywood, de 1968 à 2018. Un demi-siècle, ce n’est pas rien. Sa filmographie ? Longue comme le bras ; un très long bras, en l’occurrence : plus d’une centaine d’épisodes de séries télévisées, 17 téléfilms et 12 films. Qui dit mieux, chez ses collèges ? Personne.
L’ami de Steven Spielberg
Avant son équipée américaine, il est assistant de production du Charade (1963) de Stanley Donen, tourné à Paris. Il a tout juste 26 ans. Les propositions venant cruellement à manquer, Jeannot Szwarc décide de s’envoler pour la Californie, où il rédige des scripts pour des spots publicitaires avant de proposer des idées de séries télévisées aux studios Universal. Contre toute attente, l’une d’elles est retenue : ce sera L’Homme de fer, avec Raymond Burr en détective cloué sur son fauteuil roulant. Il en tourne deux épisodes, sa carrière est lancée. Dans la foulée, il met en scène plusieurs autres épisodes d’une autre série, fantastique celle-là, Night Gallery, où il rencontre un autre jeune réalisateur qui fait ses premières armes, un certain Steven Spielberg. Nous sommes en 1970 et les deux hommes se retrouvent un an plus tard sur une autre série appelée au destin mondial qu’on sait, Columbo, dont Steven Spielberg réalise le premier épisode, Le Livre témoin. En 1973, ce sera au tour de Jeannot Szwarc de mettre en scène l’une des aventures de l’homme au cabriolet Peugeot 403, Adorable mais dangereuse, qui fait forte impression par sa maîtrise.
À ce sujet — David Lynch : mort d’un cinéaste inclassable
Spielberg apprécie tôt le savoir-faire du Français et ne tarde pas à se lier d’amitié avec lui. À tel point qu’en 1978, il lui confie le soin de tourner la suite des Dents de la mer, le film qui a fait de Steven Spielberg l’un des rois d’Hollywood. Le film triomphe au box-office, ce qui conduit Universal à accepter le projet de Jeannot Szwarc, Quelque part dans le temps, adapté d’un roman de Richard Matheson, l’un des meilleurs écrivains et scénaristes du moment.
L’œuvre de sa vie sabotée par une grève des acteurs
Ce sera son chef-d’œuvre, un film depuis devenu culte, l’une des plus belles histoires d’amour jamais filmées, pas très loin du Pandora (1951) d’Albert Lewin. Christopher Reeve, loin de du personnage de Superman l’ayant rendu célèbre, incarne un dramaturge tombé amoureux de la photo d’une actrice du début du siècle, l’ensorcelante Jane Seymour. Par l’hypnose, il parvient à la rejoindre en 1912. Le tout sur une musique renversante de beauté, celle de John Barry. Sorti en 1980, le film est malheureusement un échec, une grève de la Guilde des acteurs ayant interdit au duo Reeve/Seymour d’en assurer la promotion. Juste retour des choses, ce film est désormais révéré par les amateurs de la chose romantique.
Mais c’est en 1994 que Jeannot Szwarc signe le film qui le rendra un peu plus connu en nos contrées, La Vengeance d’une blonde (1994), avec Christian Clavier, Marie-Anne Chazel et Thierry Lhermitte. Soit les mésaventures d’un présentateur de journal télévisé de province (impayable Christian Clavier) abandonnant tous ses principes de gauche en devenant la vedette d’une chaîne à la Silvio Berlusconi. Puis, Jeannot Szwarc repartira au soleil d’Hollywood. Il a 80 ans lorsqu’il fait une dernière fois tourner la caméra avec un épisode de la série télévisée Grey’s Anatomy portant étonnamment bien son nom : La Fin d’un rêve.
Il n’était donc que justice de la rendre à cet artisan renommé qui fit briller les couleurs françaises tant d’années durant, reconnu aux USA et tristement ignoré ici.

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7 commentaires
Y aura-t-il un hommage de la profession aux Césars ? Peu de chance.
Néanmoins merci à BV pour cet article. C’est aussi pour ça que j’apprécie de le lire, je continue à y apprendre des choses sur des sujets très au dessus de l’actualité brute. J’avoue que je ne connaissais pas l’histoire de Jeannot, grâce à BV je me coucherais moins ignorant, et surtout, je m’en souviendrais.
A ma grande honte, le nom de ce Monsieur m’était totalement inconnu.
Bonjour
Merci d’avoir rendu hommage à ce grand metteur en scène…
Par contre vous avez oublié « Les insectes de feu » de 1975, très bon film de SF.
Merci aussi d’avoir mentionné le magazine Mad Movies sans lequel le cinéma fantastique et le cinéma de genre n’aurait pas d’écho.
Comme la France oublie ses génies!
87 ans, à notre époque c’est jeune pour mourir.
Serait il mort d’une coïncidence?
Beau travail pour honorer celui que le système a oublié.
Merci pour ces renseignements très instructifs ; pour avoir vu son nom aux génériques de nombreux films et épisodes de séries américaines de la bonne époque , je ne savais pas qu ‘ il était Français et le croyais Américain ; Dommage , en effet , qu ‘ une telle personnalité talentueuse comme lui ne soit pas plus reconnu dans son pays ;