Qu’on apprécie ou non l’homme et son régime de type islamo-conservateur, un fait demeure : le président Recep Tayyip Erdoğan n’hésite pas à mouiller la chemise pour défendre et promouvoir les intérêts de la Turquie.

En géopolitique, le néo-sultan, tournant en partie le dos au kémalisme laïc, entreprend donc de renouer avec la grandeur de l’Empire ottoman. Tout comme les présidents Vladimir Poutine et Xi Jinping, qui mettent tout en œuvre pour redonner leur lustre à empires respectifs russe et chinois.

Dans le cas d’Ankara, voilà qui passe évidemment par une stratégie développée tous azimuts, en Libye, en Azerbaïdjan et dans l’ensemble de la Méditerranée. D’où un activisme de plus en plus prégnant au Maghreb. Une stratégie passant prioritairement par l’économie, tel qu’en Algérie. Et Le Point du 16 août de révéler : « Dans le BTP (Atlas, Fema, Dekinsan, Bilyap, etc.) ou encore la sidérurgie (Tosyali Iron Steel), la pétrochimie (Rönesans Endüstri et Bayeagan), quelque 1.200 entreprises turques sont enregistrées en Algérie, dont trente investisseurs directs, où elles emploient plus de 10.000 personnes. »

Politiquement, si la stratégie est plus discrète, elle demeure néanmoins efficace, les partis affiliés aux Frères musulmans étant tous plus ou moins sous influence du pouvoir turc. Au Maroc, le PJD (Parti de la justice et du développement) est même en charge du gouvernement, quoique demeurant sous tutelle royale. En Algérie, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) et le Front de la justice et du développement (FJD) demeurent dans l’opposition, mais se signalent par un fort activisme en matière d’éducation et de culture. Quant à la Tunisie, Ennahdha vient de perdre le pouvoir, suite au coup d’État perpétré par le président Kaïs Saïed.

Soit des mouvements pas toujours en position dominante, mais avec lesquels les pouvoirs concernés savent devoir compter. Ankara s’en accommode d’ailleurs très bien et ces relais suffisent largement à faire entendre sa voix. Erdoğan, instruit par son pas de deux vis-à-vis de Daech – une fois pour et l’autre contre –, sait désormais jusqu’où ne pas aller trop loin et a bien intégré le fait que la manière douce peut être aussi plus efficace que la forte.

Ainsi, non content de faire preuve de retenue, il a également compris qu’il y avait plusieurs manières de reconquérir l’aura ottomane de jadis. D’où l’intérêt d’un soft power de plus en plus envahissant. Ce dernier passe d’abord par le tourisme : la Turquie est la deuxième destination des Algériens, après la Tunisie, tandis qu’en 2019, elle attirait 200.000 touristes marocains.

Ce qui fait justement dire à Jalel Harchaoui, chercheur à l’institut Initiative globale, interrogé par Le Point : « Les Turcs pensent l’Afrique avec un horizon temporel de trente ans, et pas de deux à trois ans comme les Occidentaux. Concrètement, cela signifie qu’ils savent ce qu’ils veulent. » Et qu’ils s’en donnent manifestement les moyens, à en juger d’une industrie cinématographique en pleine expansion : il y a maintenant plusieurs années que les séries télévisées turques affolent les audiences, que ce soit en Tunisie, en Algérie ou au Maroc, allant même jusqu’à influencer la décoration intérieure, tel qu’en témoigne l’installation, à Alger, d’un magasin de la chaîne de mobilier Dogtas, sorte d’Ikea™ ottoman.

Une offensive culturelle telle que l’événement à venir qui agite l’ensemble du Maghreb est… tout bonnement une prochaine série télévisée, forte d’un budget hollywoodien de 40 millions de dollars : Barbaroslar, qui contera les aventures des frères Arudj et Khayr al-Din Barberousse, venus en 1516 chasser les Espagnols des côtes algéroises.

Bien sûr, devant cette stratégie de charme, les pouvoirs locaux renâclent, mais savent aussi que leurs populations respectives ne sont pas insensibles au prestige turc. Il est vrai que même économiquement fragilisée, la Sublime Porte peut encore faire envie, ne serait-ce que par son aura culturelle et l’indéniable solidité de ses institutions politiques.

Et dire que les seuls que la France fasse aujourd’hui encore rêver sont les immigrés clandestins…

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17 août 2021 à 18:44

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