Immigration : ceux qui la subissent ne sont pas ceux qui la défendent

Il n'est pas courant qu'un homme de gauche parle d'immigration. C'est pourtant ce que fait, non sans quelque courage, Didier Leschi, directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans son essai intitulé Ce grand dérangement. L'immigration en face. Dans un entretien au magazine Le Point, interrogé sur la possibilité de « mener un jour un débat serein sur les questions d'immigration », il apporte une réponse qu'il vaut la peine de reproduire.

« Il ne pourra y avoir de débat serein que lorsqu'on aura résolu ce paradoxe que j'essaie de décrire dans mon livre : ceux qui plaident le plus pour un accueil inconditionnel sont en général ceux qui habitent dans des zones où l'immigration est de moins en moins présente. On constate ce phénomène à Paris dans les arrondissements qui constituaient par le passé une porte d'entrée historique de l'immigration en France, mais depuis la gentrification a éloigné les pauvres et les nouveaux arrivants vers la Seine-Saint-Denis. » Pas gentil pour les bobos !

Les partisans d'un accueil inconditionnel sont rarement confrontés à la réalité de l'immigration : ils sont enfermés dans l'espace confortable de leur idéologie ou dans des quartiers préservés, notamment dans les grandes métropoles qui ont majoritairement voté pour Emmanuel Macron. Pour parodier le poète latin Lucrèce, « il est doux […] de contempler du rivage le danger et les efforts d’autrui : non pas qu’on prenne un plaisir si grand à voir souffrir le prochain, mais parce qu’il y a une douceur à voir des maux que soi-​même on n’éprouve pas ».

Il est surtout agréable, quand on est fortuné, qu'on habite dans un appartement hors de prix, qu'on ne subit pas les effets de la présence en nombre des immigrés, qu'on n'en voit guère autour de soi, de jouer à l'humaniste au grand cœur, d'ouvrir les bras des autres à toute la misère du monde et de fustiger ceux qui s'élèvent contre une immigration incontrôlée. On se donne facilement bonne conscience, on s'érige en donneur de leçons, prisonnier de son égoïsme et de ses préjugés. Ne parlons pas des idéologues qui, faute d'obtenir le soutien des ouvriers, voient dans cette population un nouveau prolétariat pour préparer le Grand Soir.

Ces soi-disant humanistes sont généreux par intérêt. Il leur arrive, comme à Macron, à l'approche des élections présidentielles, de sortir de leur confort intellectuel, mais avec combien de circonvolutions, combien d'hésitations, sans jamais reconnaître leurs torts ni faire acte de contrition ! L'accélération des flux migratoires, l'absence de contrôle aux frontières, la non-reconduite dans leur pays des déboutés du droit d'asile leur sont devenues si naturelles qu'y déroger serait, à leurs yeux, un sacrilège. Les coupables sont les dénonciateurs de cette politique, non ses promoteurs !

Dernièrement, on a appris que le coût de l'aide médicale de l'État vient de s'envoler. Réservée aux étrangers en situation irrégulière, elle concernerait plus de 330.000 clandestins et dépasse le milliard d'euros dans le projet de loi de finances pour 2021. Ajoutez-y les allocations de demandeur d'asile, le RSA auquel peuvent prétendre, à partir de 25 ans, les détenteurs d'un titre de séjour, l'allocation de solidarité aux personnes âgées pour les plus de 65 ans, le coût des mineurs isolés.

L'État sait se montrer généreux avec les immigrés, mais semble se soucier moins de ses propres nationaux. D'aucuns estiment que cette générosité fait l'honneur de la France. D'autres qu'elle est un signe d'irresponsabilité et cautionne l'immobilisme en matière de politique migratoire. À chacun de décider qui a raison !

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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