Il y a 64 ans, la semaine des barricades à Alger…

Guerre d'Algérie

Tout avait commencé le 18 janvier 1960. La mèche avait été allumée par un simple entretien, accordé par le général Massu au Süddeutsche Zeitung, dans lequel il tenait des propos que certains, rétrospectivement, pourront juger prophétiques. « De Gaulle, disait-il, était le seul homme à notre disposition. Peut-être l’armée a-t-elle fait une erreur. » L’erreur dont il parlait, évidemment, était le recours au chef de la France libre. En 1958, alors que l’opération Résurrection, organisée par les parachutistes français, prévoyait un coup d’État à moins que l’on ne rappelât Charles de Gaulle, et que la Corse était déjà occupée par les putschistes, le gouvernement aux abois avait cédé à l’armée et appelé le vainqueur de 1945 pour régler la question algérienne.

Un an plus tard, en 1959, de Gaulle, à la surprise de ses partisans, se prononçait en faveur de l’autodétermination du peuple algérien. Massu n’en revenait pas. Les pieds-noirs non plus. Même si le général parachutiste nia toujours avoir tenu ces propos, le mal était fait et Massu, le 18 janvier 1960, donc, fut rapatrié en métropole pour manquement au devoir de réserve. Galvanisés par ce qu’ils estimaient être une trahison de plus, une poignée de jeunes idéalistes dont certains noms passeront à la postérité (Susini, Lagaillarde, Ortiz, Forzy), alliés aux pieds-noirs, décidèrent de prendre d’assaut les bâtiments officiels d’Alger.

Le 24 janvier, les insurgés manifestent, malgré l’hostilité inattendue du général Challe et l’indifférence des militaires. Ils finissent par s’installer dans un bâtiment de la Compagnie algérienne. Ortiz harangue la foule du haut d’un balcon. Les gendarmes sont envoyés pour maintenir l’ordre et une fusillade générale éclate, qui n’est interrompue que par l’arrivée du légendaire 1er REP.

Le 25 janvier, le Premier ministre Debré se rend sur place. Le délégué général du gouvernement, Delouvrier, et le général Challe s’enfuient pour Paris. Challe sait qu’il ne peut ordonner la répression, car l’armée désobéira, et demande à de Gaulle de renoncer à l’autodétermination. Évidemment, le général refuse. Debré interdit à l’armée de dicter sa conduite, tandis que les paras et la foule fraternisent, confirmant la fracture entre le pays légal et le pays réel, comme dirait l’autre.

Le 31 janvier, une solution négociée - que l’allocution martiale de De Gaulle, deux jours plus tôt, rend inévitable - est trouvée. Le lendemain, Lagaillarde et ses partisans se rendent au 1er REP, qui leur rend les honneurs. Forzy, lui, prend la tête du commando Alcazar, nouvellement créé au REP pour agréger les volontaires autour d’un idéal commun – qui devient de plus en plus flou. Challe est limogé : il ne digèrera pas cette blessure d’orgueil, qu’il considère comme une trahison. Lagaillarde et Ortiz sont incarcérés, jugés en novembre et, mis en liberté pour la durée du procès, filent en Espagne franquiste pour fonder l’OAS.

Soixante-quatre ans plus tard, cet événement, qui fit 22 morts, prend une amère saveur de prémonition. Tout y était, déjà : la duplicité des chefs militaires, l’idéalisme désespéré des partisans d’une Algérie qu’ils avaient, pour certains, littéralement bâtie, la déconnexion des politiques, la pusillanimité du gouvernement, l’exaspération des troupes de choc devant le peu de prix que l’on accordait à leur sang – et surtout, plus que tout cela, l’ombre tutélaire du général de Gaulle, qui finit par duper tout le monde.

Comble d’habileté, le même de Gaulle réédita ses combinations politiques en amnistiant les « soldats perdus » peu avant la manif monstre du 30 mai 1968 contre les gauchistes.

À nous, pour ne pas oublier, il reste la fameuse chanson de Jean-Pax Méfret (Les barricades - YouTube), les témoignages de ceux qui ont vécu sur le sol de cette autre France et n’en sont, en esprit, jamais tout à fait revenus… et la nostalgie, comme tant de fois, de ce qu’aurait pu être la France avec un peu plus de courage, un peu moins de calcul - avec de l’honneur et de la fidélité, diront certains.

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Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

28 commentaires

  1. « A moins que ne soit à l’oeuvre un groupe de meneurs ambitieux, résolus à établir par la
    force et par la terreur leur dictature totalitaire et croyant pouvoir obtenir, qu’un jour, la
    République leur accorde le privilège de traiter avec eux du destin de l’Algérie, les bâtissant
    par là même comme gouvernement algérien. Il n’y a aucune chance que la France se prête à
    un pareil arbitraire. » Charles De Gaulle 16/09/59 dans le Discours sur l’Autodétermination.
    De Gaulle a été rattrapé par son orgueil. Il pensait que la force de son verbe suffirait à s’imposer au « groupe de meneurs ambitieux ». Sans voir que par ce discours, il se mettait politiquement à leur merci. Et l’Histoire finira par lui échapper. La coopération et les accordsd’Evian ne seront qu’une duperie. La tragédie, ce sera pour les Français d’Algérie, les Harkis et tous les Musulmans qui avaient placé leur confiance dans la France. Mais audelà pour la France entière qui ne se doutait pas de ce qui allait arriver : ce que nous voyons et subissons aujourd’hui.

  2. Un après le « je vous ai compris » de 1958 le général de Gaulle ,avait donc acté la future indépendance de l’Algérie ; ce qui par ailleurs permis que je connnaisse ma femme , elle même déportée de son pays vers la métropole . Un pays qui était scindé en deux département français à l’époque.
    Et la gauche inventa le péché de colonisation . Un péché qui a permis à la population d’Algérie de se multiplier par 5 à partir de 1830 . Une même gauche elle même jamais à court d’idée pour inventer l’internement politique , les goulags et déportations de populations, les dénonciations de dissidents , les magasins vides et les files d’attente pour la moindre denrée là où elle pouvait exercer ses « compétences ».!

  3. C’est une vraie tragédie ! Comme elle était belle l’Algérie française ! Certes, tout n’était pas parfait, mais la perfection, comme chacun le sait n’est pas de ce monde …Et puis, tout était-il parfait quand ce territoire était sous domination ottomane??? Quant au nombre d’Algériens qui ont préféré s’installer en France métropolitaine ainsi que tous ceux qui continuent à fuir l’Algérie algérienne qui par ailleurs devient de plus en plus chinoise …

    • L;Algérie n’est plus belle depuis que le FLN la dirige , la preuve c’est que sa population la fuit et ses dirigeants la cache au reste du monde pour ne pas que l’on puisse faire la comparaison avec le petit paradis qu’elle était avant toutes ces atrocités . L ‘Algérie c’est un rêve gâché parce qu’elle était faite pour que les deux communautés puissent vivre en parfaite harmonie ce qui n’est pas le cas de l’immigration imposée aux français . Aujourd’hui il y a un malaise . On peu faire un peu le parallèle avec le Liban , la petite Suisse du moyen orient !

  4. j’ai vécu toute cette période à Alger et cette évolution progressive ,après un grand espoir , vers un abandon total . On a l’impression que l’on revit en France le même processus actuellement . L’idéologie pseudo humanitaire a joué un rôle important et la pression des puissances étrangères aussi ( USA , Angleterre et URSS ) , actuellement les mêmes nuisances sont présentes pour détruire notre pays .

    •  » la pression des puissances étrangères aussi ( USA , Angleterre et URSS )  » Pardi, ça fleurait bon le pétrole!

  5. « A moins que ne soit à l’oeuvre un groupe de meneurs ambitieux, résolus à établir par la
    force et par la terreur leur dictature totalitaire et croyant pouvoir obtenir, qu’un jour, la
    République leur accorde le privilège de traiter avec eux du destin de l’Algérie, les bâtissant
    par là même comme gouvernement algérien. Il n’y a aucune chance que la France se prête à
    un pareil arbitraire. » Charles De Gaulle 16/09/59 Discours sur l’Autodétermination.
    De Gaulle a été rattrapé par son orgueil. Il pensait que la force de son verbe suffirait à s’imposer au « groupe de meneurs ambitieux ». Sans voir que par ce discours, il se mettait politiquement à leur merci. Et l’Histoire finira par lui échapper. La coopération et les accordsd’Evian ne seront qu’une duperie. La tragédie, ce sera pour les Français d’Algérie, les Harkis et tous les Musulmans qui avaient placé leur confiance dans la France. Mais audelà pour la France entière qui ne se doutait pas de ce qui allait arriver : ce que nous voyons et subissons aujourd’hui.

    • Vous oubliez le plus important : De Gaulle a été humilié lors de l’opération Torch de 1942 par les militaires français et les pieds-noirs qui l’ont accueilli non en libérateur mais en envahisseur. Aussi n’a-t-il eu aucun scrupule (ce n’était pas sa marque de fabrique) à abandonner le pays (et le pétrole saharien) aux communistes algériens, récupérant ainsi un milliard de dépenses journalières pour les consacrer à l’élaboration de l’arme nucléaire.

      • 1/De Gaulle a surtout été humilié par les Américains qui se méfiaient de lui, avaient un ambassadeur à Vichy, ami de Pétain et l’ont tenu à l’écart de l’opération Torch comme ils l’ont tenu à l’écart des plans du débarquement de Normandie. Pour le reste la problématique était celle de l’opposition générale, en Algérie comme ailleurs, des gaullistes et des vichystes, les Pieds Noirs n’étant pas très différents en définitive de leurs compatriotes de Métropole. Quand De Gaulle arrive à Alger fin mai 43, l’opération Torch est largement terminée. Des résistants en Algérie, juifs pour les 2/3 d’entre eux n’ayant pas de liens avec Londres, jouèrent un role décisif dans le succès de l’opération Torch. L’opposition au débarquement alliée fut brève (3 jours) et fut le fait de militaires commandés par des officiers aux ordres de Vichy. Un cessez le feu fut assez rapisement donné par Juin (Pied Noir) en accord avec Darlan. L’erreur est de voir De Gaulle fin 42 comme il apparaîtra en Août 44 à la Libération de Paris.
        2/De Gaulle ne souhaitait pas lâcher le Sahara. Il y a été contraint.
        3/Communistes algériens ? Dites plutôt FLN qui n’avait rien de très socialiste …. et faisait tout pour se servir des communistes et les marginaliser. Avant de les traiter « durement » sous Boumedienne à partie de 1965.

  6. Tout cela pour ça !! Que l’Algérie se retrouve en France !! Les « vieux » n’ont pas oublié !! En 1958 environ 10.000.000 d’Algériens en Algérie !! Aujourd’hui combien de personnes issues de l’Algérie sont en France !! Cherchez l’erreur !
    A quoi a servi l’indépendance puisque ils veulent tous venir en France !! Sacré question ???

  7. Les barricades, le putsch des généraux, tout cela fût d’une stupidité étonnante, car l’indépendance était inéluctable.
    Il n’y avait pas d’alternatives.
    L’erreur et le malheur des pieds noirs fût de n’y avoir pas cru assez tôt et de s’organiser en conséquence. Avec plus de réalisme, la guerre aurait même pu être évitée.

    • Les pieds noirs n’étaient pas des touristes et ils ne sont pas responsables de leur propre maheur / Ils considéraient à juste titre que l’Algérie était leurs pays au même titre que les autochtones . Leurs ancètres ont souffert pour construire ce pays qui n’avait pas d’infrastructures à l’arrivée des colons . Pour constuire ce pays des populations de tout le pourtour de la méditerrannée sont venus pour prêter main forte aux français . Pendant l’assèchement des marais qui a permis cette plaine de la mitidja qui deviendrait un immense verger, des groupes rebelles harcelaient encore les français et les travailleurs qui participaient à cette entreprise . Ces Italiens , Espagnols , Maltais etc ont aimé la France comme si il était le leur et sans jamias avoir mis un pied en métropole . Des modèles d’intégration ! Les gens du FLN des ingrats qui se servaient de ce que la France leur avait donné pour le retourner contre leurs bienfaiteurs . Mais ces gens étaient attirés surtout parle pouvoir qu’ils n’ont pas läché depuis 1962 y compris en éliminant leurs alliés d’hier sans parler des harkis . Depuis ils ont été obligés de composer avec les islamistes .Donc les algériens vivent deux totalitarismes qu’ils peuvent supporter en envahissant notre propre pays !

      • Vous avez parfaitement raison ;mais l’indépendance était inéluctable… depuis mai 1940.
        Les islamiques ont pris conscience de notre vulnérabilité.
        Un compromis aurait pu être négocié avant 1939 ;mais pour combien de temps.

  8. Cet édito m’a rappelé quelques souvenirs (heureux), ayant moi-même participé, comme parachutiste appelé, au putsch avec l’état major de la 10iéme division parachutiste. Cela a duré (sans exactions, violence ou mort d’homme) , hélas, le temps d’une rose (même pas) !!

  9. Avec le flux incessant de nos voisins outre méditerranée, on voit ce que devient la France, il faut s’imaginer ce qu’elle serait déjà devenue si on n’avait pas fait la paix et accordé les mêmes droits aux algériens. Certains peuvent peut-être verser une petite larme quand ils pensent à cette parenthèse de la guerre d’Algérie, mais moi j’avais 18 ans à cette époque et aucune envie d’aller y laisser ma vie comme tant d’autres appelés qui n’avaient rien demandé. L’incurie des politiques depuis le début de la guerre est responsable de la fuite en catastrophe des pieds noirs et de la mort de milliers de soldats, il n’avaient aucune vue de l’avenir pour la France, un peu comme celui qui est actuellement notre président et l’expérience de l’indo ne leur avait pas servi.

    • Tout est dit : les Français ne voulaient pas se battre pour l’Algérie . 90 % de oui à l’abandon de l’Algérie au FLN terroriste ! De Gaulle s’est déshonoré en faisant la volonté ce qu’il appelait pourtant très lucidement « ce peuple de veaux… » Et visiblement,ce ne sont pas les petits-enfants qui relèvent le niveau … Qu’on arrête de cibler la responsabilité des politiques : ils sont les élus à l’image de leurs électeurs.

  10. De Gaulle fut un grand homme d’état mais il commit trois fautes graves. En 1962 remettre l’Algérie au FLN, ce dont l’Algérie et la France paient encore les conséquences.. 1963 l’accord franco allemand. 1968 le traité franco algérien.

    • 100% D’accord avec vous sur les 2 points concenant l’Algérie. Pour l’Allemagne c’est plus compliqué. L’idée du traité de l’Elysée n’était pas mauvaise. Mais il n’a pas vu qu’il allait se faire cocufier par les Allemands inféodés aux US avec l’addition du fameux préambule qui vidait le traité de sa substance, comme au fond il s’était fait, toujours avec l’aide de nos amis américains, cocufier par le FLN. La cause de ces fautes est toujours la même : un certain orgueil. Une croyance démesurée de la toute puissance de son verbe. Il faut bien reconnaître que l’Histoire l’avait poussé dans cette voie. C’est avec son seul verbe, une plume et un micro qu’il avait réalisé un miracle en 40-45. Comment ne pouvait il pas se comparer avec Jeanne d’Arc ?

  11. Cher Florac, douloureux souvenirs pour le vieux bonhomme que je suis, grande période de toutes les trahisons.

  12. Merci pour ce magnifique tracé de l’histoire, qui verra, là comme ailleurs, seuls les faibles payer la lourde addition.
    Il ne manque que de dire qu’après l’indépendance de l’Algérie, et en accord avec ses nouveaux gouvernants, la France conservera dans ce pays ses intérêts économiques et militaires. On n’en parle jamais, comme c’est bizarre!

    • A quels accords économiques faites-vous allusion ? Peut-être au fait que la France s’est alors engagée à acheter le pétrole et le gaz algériens plus cher que le prix mondialement fixé par les autres pays producteurs… Quant aux intérêts militaires… Lesquels ?

    • « la France conservera dans ce pays ses intérêts économiques et militaires » Vous plaisantez ? Interêts économiques ? Lesquels ? Interêts militaires ? On n’en parle jamais parce qu’il n’y en a pas. Et que les réalités des « échanges » n’ont rien de particulièrement avantageux. Les seules affaires importantes ce sont les arrivées d’Algériens en France et les tranferts financiers vers l’Algérie des pensions des salaires des travailleurs immigrés et les paiements du gaz et du pétrole.

  13. Le déclin moral de la France a commencé à cette époque , juin 40 ,Dien bien phu + Suez + Algérie ,pauvre pays trahi par ses élites . ça continue …

  14. on pourrait commencer chronologiquement le coup d état permanent comme l a défini un certain ministre del Intérieur , a l affaire du BAZOOKA 16 janvier 1957 sur laquelle les historiohagiographesde la V sont peu disserts ! et le rôle deMichel Debré a bien été mis dans la discrétion !! la famille du Commandant Rodier doit continuer à porter ce fardeau de questionnement silencieux de cette manipulation somptueuse qui marque la naissance de la V République !!! même si la Résurrection sera même un assertion interrogative dans un certain discours !
    Sic transit ..,

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