Hommage à Maurice Ronet : l’acteur et metteur en scène rebelle

Capture d'écran
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Il y a exactement quarante ans (le 14 mars 1983) disparaissait l’acteur et metteur en scène français Maurice Ronet, à l’âge de cinquante-cinq ans. Ce grand seigneur tourmenté du cinéma français mourra 27 fois à l’image, à chaque fois que son personnage proclamera la vérité devant des protagonistes peu enclins à l’entendre.

Si Maurice Ronet traîna un mal de vivre durant toute son existence, il fut pourtant aussi un intellectuel fêtard, un bon vivant - s’il l’on peut dire - et un rebelle de droite en porte-à-faux avec un monde dans lequel il se sentait mal à l’aise. Le cinéma lui a permis de s’exprimer, d’exorciser ses peurs et de lancer un défi à une société falsifiée où la connivence, la lâcheté et le mensonge dirigent les consciences et les attitudes.

Né le 13 avril 1927 à Nice, Maurice Robinet (son véritable patronyme) naît de parents comédiens avec lesquels il exerce son art très tôt. Après le bac, il entre au Conservatoire. Il s’adonne également à la peinture, à la sculpture et au piano. Grand lecteur, il se passionne pour la philosophie d’Heidegger, de Schopenhauer et de Kierkegaard, dont il tirera un essai jamais publié. Il écrit également deux romans inachevés.

Fréquentant avec assiduité Saint-Germain-des-Prés, Maurice Ronet rencontre le metteur en scène Jacques Becker qui lui propose de jouer dans son prochain film, Rendez-vous de juillet (1949). Cependant, c’est avec Ascenseur pour l’échafaud (1958) qu’il accède à la célébrité. Dans ce film réalisé par Louis Malle et dialogué par son ami Roger Nimier, Maurice Ronet interprète Julien Tavernier, un ancien capitaine parachutiste revenu d’Indochine amoureux de Florence (Jeanne Moreau). Florence n’aime plus son mari (Jean Wall), qui est justement le patron de Tavernier. À ce marchand de canons cynique et plein de morgue, qui se moque avec hilarité des guerres dont il vit, Tavernier rétorque : « Ne vous moquez pas des guerres, monsieur, ce sont vos propriétés de famille. » Après quoi, il le tue dans l’espoir de vivre avec son amoureuse. Mais tout se complique… Le film en noir et blanc, de facture très classique et sur fond de jazz, se laisse regarder sans déplaisir comme un document d’époque. Ronet reprendra le rôle d’un ancien parachutiste décalé, revenant cette fois d’Algérie, dans Le Dernier Saut (1970), d’Édouard Luntz, dialogué par Antoine Blondin. Mais Ronet, plus que hussard, sait qu’il appartient au camp des paras et des parias dans une société décadente.

Entre-temps sort sur les écrans de cinéma un chef-d’œuvre absolu, Le Feu follet (1963), de Louis Malle, d’après le roman de Pierre Drieu la Rochelle. Synthèse du surréaliste Jacques Rigault et de Drieu lui-même, Maurice Ronet incarne Alain Leroy, dandy nonchalant, dépressif chronique et ex-alcoolique qui va repiquer. Il mène une existence de somnambule qui ne voit plus que la mort comme accompagnatrice le conduisant ainsi au suicide après une dernière errance parisienne. Ronet restera marqué à vie par ce rôle bouleversant, ne versant jamais dans aucun misérabilisme.

Quelques années auparavant, Maurice Ronet faisait encore l’expérience de la mort, mais cette fois-ci tué par Alain Delon dans Plein Soleil (1960), de René Clément : les deux acteurs irradient de beauté en compagnie de la charmante Marie Laforêt. Dans le drame soigné et à suspense La Piscine (1969), de Jacques Deray, Delon noie cette fois-ci Ronet pour les beaux yeux d’une magnifique Romy Schneider. Delon a imposé son ex-fiancée et actrice sur le film dont il est le producteur. Les deux acteurs amis ont tourné ensemble également dans Les Centurions (1966), de Mark Robson, et l’épatant Mort d’un pourri (1977). Dans ce dernier long-métrage, Delon impose de nouveau Ronet au metteur en scène Georges Lautner alors que sa carrière prend l’eau et, lui, trop de whisky. Le pourri, l’homme politique corrompu, c’est lui… Les dialogues de Michel Audiard sont cinglants et d’un anticonformisme radical. À voir et à revoir pour la bonne bouche, si l’on ose dire.

Maurice Ronet a toujours considéré que sa filmographie n’était pas à la hauteur de ses exigences. Raison pour laquelle il décide de mettre en scène lui-même une petite comédie, Le Voleur de Tibidabo (1964), le documentaire allégorique Vers l’île des dragons (1973), un reportage télévisé avec son ami Dominique de Roux, Mozambique (1973), le film noir et fascinant Bartleby (1976). Puis il adapte deux récits d’Edgard Poe, toujours pour la télévision, Le Scarabée d’or et Ligeia, en 1981.

N’oublions pas de mentionner aussi, dans la filmographie de l’acteur, les sept minutes grandioses de La Femme infidèle, de Claude Chabrol (1968), Raphaël ou le débauché, de Michel Deville (1971), ou l’avant-dernier film dans lequel il compose le rôle méconnaissable du maffieux moustachu Roger Massina : La Balance (1982), de Bob Swaim. Maurice Ronet demeure un acteur et metteur en scène des catacombes dans un siècle crépusculaire, et pourtant, il aimait tellement rire…

Arnaud Guyot-Jeannin
Arnaud Guyot-Jeannin
Journaliste et essayiste

Vos commentaires

15 commentaires

  1. Maurice Ronet est enterré au cimetière de Bonnieux 84. Sa tombe est facile à reconnaitre c’est un borie (fait de pierres alpines méditerranéennes). Il faudrait que la TV nous remette les films dans lesquels il a joué.

  2. Encore un géant ! Qui ne se souciait pas d’épouser « l’air du temps » pour se soumettre à la doxa et faire semblant d’être moderne dans l’espoir de flatter son public. Un grand dans la lignée des Gabin, ventura, Delon…

  3. Un homme authentique qui ne voulait pas se contenter de sa belle gueule. Parti beaucoup trop tôt hélas

  4. La belle époque du cinéma français , des bons acteurs , des bons films à voir et revoir . Ce qui manque cruellement aujourd’hui .

    • On préfère nous passer et repasser des « séries » et films US avec sexe et violence à la pelle.

  5. Tous les noms évoqués dans cet excellent hommage à Maurice Ronet, rappellent que la France des années 60 était alors capable d’excellence par des confrontations d’idées pourtant opposées. Il est bien dommage que ceux qui osaient dénoncer les risques de son futur déclin n’aient pas été écoutés.

  6. Quel acteur! Un bon observateur avait dit de son sourire qu’il était celui d’un « carnassier ». Le revoir dans les films est un plaisir.

  7. Une «  gueule «  comme on disait à l’époque . J’ai vu quelques films de Mr Ronet et je me rappelle très bien qu’à l’époque , je choisissais de regarder ses films parce qu’il était à l’affiche et non pour l’histoire du film en elle-même
    Grand Monsieur du cinéma français

  8. Quarante ans déjà !
    Très bonne évocation de ce grand acteur atypique ;
    Sans oublier , dans sa filmographie , un petit film sans prétention mais toujours agréable à revoir « Qui ? » de L.Kiegel en 70 avec , là aussi : Romy Schneider .

  9. On pourrait dire de cette époque « C’était le Cinéma Français » comme d’autres ont pu écrire « C’était De Gaulle ». Pour qui se souvient, la vision de la chute est vertigineuse.

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