[HISTOIRE] Prise d’Alep : la revanche historique de Daech sur la France

© Vyacheslav Argenberg /Wikimedia commons
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Alors que les djihadistes célèbrent la prise de la ville d’Alep en Syrie, ils s’emparent, sans que la majorité des Français ne le réalisent, d’un morceau de notre histoire commune avec le Moyen-Orient. En effet, un siècle plus tôt, la cité d’Alep et sa région furent liées au destin de la France, dans le contexte de l’effondrement de l’Empire ottoman. Cette période historique fut marquée par des tensions ethniques et religieuses, des rivalités régionales et une opposition croissante à la domination française. L’ensemble de ces éléments a ainsi entraîné l’échec de l’entreprise française dans la région. Un échec dont les répercussions se font encore ressentir aujourd’hui.

La France et le défi du nationalisme syrien

Après la chute de l'Empire ottoman à l'issue de la Première Guerre mondiale, les provinces arabo-musulmanes sont partagées entre les puissances européennes, principalement le Royaume-Uni et la France, en vertu des accords Sykes-Picot, signés en 1916, et des décisions prises lors de la conférence de San Remo, en 1920. En application de ces arrangements, la Société des nations confie à la France un mandat sur les territoires correspondant à l’actuelle Syrie et au Liban. Il s'agit d’aider et de stabiliser ces régions du monde après l’effondrement de l'ancienne autorité ottomane. Cependant, cette intervention occidentale suscite une vive opposition locale. Les habitants de ces contrées refusent d'être gouvernés par des Européens à la culture chrétienne et fondent alors un royaume arabe sous la gouvernance du roi Fayçal. Celui-ci est néanmoins défait, malgré le soutien d’un certain Lawrence d'Arabie, par les forces françaises à la bataille de Khan Mayssaloun, le 24 juillet 1920. Cet échec contraint Fayçal à abandonner son trône. Il trouve alors un réconfort à cette humiliation auprès des Anglais qui le placent sur le trône d’Irak.

Mais pour la France, cette victoire militaire ne signifie pas la fin des résistances. En effet, il lui faut désormais affaiblir les différentes aspirations nationalistes en divisant la Syrie en plusieurs entités distinctes : l’État du Grand Liban, de Damas, des Alaouites, des Druzes et, enfin, d’Alep.

Diviser pour régner : la stratégie française en échec

Ainsi proclamé en septembre 1920, l’État d’Alep comprend la ville éponyme comme capitale et s’étend des frontières orientales de l’actuelle Syrie jusqu’à la Méditerranée, incluant les régions d’Antioche et d’Alexandrette. L’administration française locale cherche à s’assurer le soutien des minorités ethniques et religieuses, notamment celui des Kurdes chrétiens, mais également celui de certaines élites urbaines, afin de contrer la majorité arabe sunnite hostile aux Européens. Cette politique divise davantage les communautés locales, aggravant les tensions intercommunautaires et provoquant un mécontentement général.

Sur le plan économique, l’État d’Alep est également marginalisé. La ville, traditionnellement tournée vers les routes commerciales reliant Mossoul et Bagdad, souffre de l’établissement des nouvelles frontières limitant son accès aux marchés régionaux. Alep perd également de son influence au profit de Damas, exacerbant le mécontentement des élites commerçantes locales.

En 1922, la France tente de résoudre ces problèmes en créant la Fédération syrienne, qui regroupe l’État d’Alep, celui de Damas et l’État des Alaouites, mais cette mesure échoue encore à apaiser les tensions. En 1925, face à l’intensification du mécontentement populaire et à la montée du nationalisme arabe, la France finit par abandonner son découpage territorial initial. Les entités politiques syriennes disparaissent alors pour fusionner et former, en janvier 1925, l’État de Syrie, une structure plus large censée répondre aux aspirations nationalistes. Cette unification n’efface pas les divisions internes et n'apaise pas non plus l’opposition au mandat français, qui culmine avec la Grande Révolte syrienne de 1925 à 1927.

Ainsi, l’histoire de l’État d’Alep illustre les limites des stratégies françaises visant à diviser pour mieux régner en Orient. L’existence de cette entité éphémère, bien qu’effacée aujourd’hui de nos cartes et en grande partie de nos mémoires, a encore de lourdes conséquences sur la région syrienne. Un exemple marquant peut se lire dans la rhétorique employée par l’ancien chef de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi, pour légitimer l’instauration de son califat islamiste. Il présentait alors le combat de Daech en Syrie comme une réparation des erreurs du passé, visant à effacer les frontières tracées par l’accord de Sykes-Picot accusé d’avoir favorisé l’ingérence européenne et l’imposition de valeurs occidentales et chrétiennes.

La prise d'Alep par Daech n’est pas seulement une opération militaire : elle porte aussi un message symbolique, adressé implicitement à la France, signifiant la revanche des islamistes contre notre Histoire et nos valeurs.

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Eric de Mascureau
Chroniqueur à BV, licence d'histoire-patrimoine, master d'histoire de l'art

Vos commentaires

25 commentaires

  1. Pour avoir vécu aux émirats arabes.
    Ces pays ne fonctionnent qu’avec des gouvernements forts .sinon les islamistes ont le dessus . Et cela devient le bazar

  2. La grande erreur qui fut faite à cette époque est de ne pas avoir créé un état kurde, soit sur le modèle d’Israël, soit en soutenant une armée kurde qui est censé stabiliser son territoire. Car le modèle Républicain n’est pas transposable dans les régions du golfe, le multiculturalisme du Liban le prouve, il conduit à l’instabilité. La France avait pourtant parfaitement réussi à installer une monarchie loyale, durable, stable et fidèle au Maroc. Partout ailleurs ils ont voulu des Républiques et des démocraties, cela à conduit aux catastrophes que nous connaissons.

    • Au Maroc, la monarchie était certes durable, davantage que notre république qu’elle avait précédé dans le temps, mais pas stable. Moins riche et moins puissant que le Pacha de Marakech (el Glaoui), le souverain alawite n’a dû son salut qu’à la france de Lyautey qui confisqua les terres du Glaoui pour les offrir gracieusement à l’Algérie.

    • Au maroc , le roi est commandeur des croyants et descendant de leur prophète. Donc bien plus vénéré de leur population

  3. Et le rôle de la Turquie dans ce soutien apporté depuis des années aux islamistes ? N’est-il pas fondamental dans cette conquête d’Alep ? La Turquie et son ambition de retrouver les territoires de l’empire ottoman, non seulement en Orient mais aussi dans les Balkans.

  4. Il ne se passe rien en ce bas monde sans que tout événements aient une répercussion ne soit universel par exemple les EU en Syrie on joués un rôle parfois obscure, la Russie alliè de l’Iran non plus hors l’Iran est farouchement anti-occident que la Russie pourrait être notre alliè comme devrait être les EU, l’Israël d’un autre côté est peut être notre meilleur alliè et préserve ses intérêts du même coup.

  5. Nos certitudes Cartésiennes n’ont pas cours en Orient. Au jeu du « séparer pour régner » ils sont champions. L’ethnie compte un peu, la foi beaucoup, le cimeterre énormément et le commerce infiniment. Comment saurions nous les comprendre ?

    • Je crois qu’il y a longtemps que nous ne comprenons plus rien, mais que nous nous mêlons de tout. Je doute que les problèmes de l’Orient trouvent leur solution en Occident.

  6. Bien sûr bien sûr, on a installé les Islamistes…Mais on a quand même viré les Ottomans, barbares sanguinaires qui occupaient la zone de l’Egypte à Istamboul ! Les Ottomans, c’est à dire les Turcs, ceux-là même qui attaquaient les colonnes de pèlerins désarmés au Moyen Age vers Jérusalem , justifiant ainsi les Croisades …

  7. Voilà un article très intéressant et j’avoue avoir appris et découvert la quasi totalité de ce qui est écrit. Je connaissais de nom, les accords des ministres anglais et français respectivement Sykes et Picot. Je savais qu’ils avaient semé la confusion (pour être poli) avec la déclaration Balfour et surtout avec la conférence de San Rémo de 1920, octroyant « un foyer national pour les juifs » sur l’actuel Israël + La Transjordanie devenue la Jordanie et la Judée Samarie devenue en 1948 la Cisjordanie et redevenue en 1967, la Judée Samarie, même si une majorité d’intervenants continue de l’appeler Cisjordanie.
    Cet article me donne envie de me plonger plus avant sur toute cette partie de l’histoire que je ne connais pas. Merci à vous Monsieur De Mascureau.

  8. Cet article est une balance heureuse, car l’on entend ailleurs sur les médias que ce sont des « islamistes différents ». Ils attaquent Assad, donc ce sont « des bons ». C’est comme les « nouveaux Talibans »: ils ont changé, ils ne sont pas si mal que ça, barrons-nous vite de l’Afghanistan. Nous savons maintenant ce qu’il en est.

    • Il ont abattu Khadafi pour libérer la Libye, c’est devenue un chaos, ils ont abattu Sadam Hussein pour libérer l’Irak et c’est devenue un chaos, ils ont voulu libéré l’Afghanistan et c’est devenue un chaos, il veulent soutenir de DAECH pour libérer la Syrie, on sait ce que ça va devenir. A chaque fois que l’oOccident veut imposer ses valeurs dans cette partie du monde ça se termine en drame. Et si on leur fichait la paix ? Il ne veulent pas de notre culture ? Ça se comprend, on n’a pas les mêmes racines. Mais surtout qu’ils ne viennent pas en Europe tenter de nous imposer la leur. Qu’on passe des accords commerciaux ou de cooperation, pourquoi pas ? Mais chacun chez soi et les vaches seront bien gardées. Quant à notre « Président » quand on voit ce qu’il a fait de la France en 7 ans, on peut comprendre que certains pays, d’Afrique notamment, lui demandent de ne plus venir s’occuper de leurs affaires. Pourquoi ne pas l’envoyer à Ste Hélène par exemple ?

      • On aurait dû acceuillir en France et en Europe que des chrétiens musulmans et les kurdes !! les persécutés rien d’autre !!

      • Mais les USA, Israël et la Turquie s’accommodent peut-être fort bien de l’instabilité syrienne, de son armée occupée à lutter contre la guérilla islamiste, quitte peut-être à soutenir discrètement cette dernière. La politique israélienne serait d’obtenir sa tranquillité et l’annexion des territoires occupés par le chaos alentours. Que ceci soit la genèse même de l’islamisme actif en Europe, ils s’en moqueraient follement.

      •  » A chaque fois que l’oOccident veut imposer ses valeurs dans cette partie du monde ça se termine en drame. » A chaque fois que Washington veut imposer ses valeurs dans cette partie du monde ça se termine en drame.

    • Les islamistes n’ont pas changé et ne changeront jamais. Nous nous aplatissons devant eux, c’est tout. Nous faisons la même chose chez nous.

  9. historiquement ce fut des protectorats francais mais c est loin tous c’a on a plus rien a faire la bas comme en orient en Afrique

  10. Daesh a remporté Aleph. Vidons nos prisons et revoyons en Syrie nos djihadistes ….en même temps, puisque l Afrique ne veux pas de notre armée. Envoyons la aider Bâchir..

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