[HISTOIRE] Paul Deschanel : un fou à l’Élysée !

PAUL DESCHANEL

S’il est une chose que l’on peut retenir de la IIIe République, c’est le nombre important de Présidents qui l’ont dirigé : 14 en 69 ans. Parmi ceux-ci, des noms bien connus comme Sadi Carnot, Félix Faure, Raymond Poincaré ou encore Paul Doumer. Cependant, il en est un autre dont l’état de santé inquiétant a marqué l’Histoire : Paul Deschanel. Sa disparition, le 28 avril 1922, est une occasion de se rappeler cet épisode burlesque de la vie politique de notre pays.

L’un des plus grands orateurs de la IIIe République

Paul Deschanel naît en Belgique, le 13 février 1855, dans une famille qui s'était exilée après l’avènement de Napoléon III. Très jeune, il entre en politique, devient le collaborateur d'un ministre, puis sous-préfet, et, à 30 ans, il est élu une première fois député, entamant ainsi une longue carrière parlementaire, puisqu'il sera élu neuf fois, de 1885 à 1920, député d'Eure-et-Loir. Deschanel est alors considéré comme l’un des plus grands orateurs de la gauche modérée de la IIIe République. À l'issue de la Première Guerre mondiale, fort de son succès et de sa longue carrière, il n’hésite pas à se présenter à l'élection présidentielle. À l'époque, rappelons-le, le chef de l'État était élu par les parlementaires des deux assemblées, Chambre des députés et Sénat. Deschanel remporte cette nouvelle bataille politique face au Père la Victoire : Georges Clemenceau. La seule chose qui semble désormais pouvoir arrêter Paul Deschanel, c’est peut-être lui-même.

Un Président ou un fou ?

L’arrivée du nouveau locataire du palais de l’Élysée rime avec le début de ses ennuis de santé. Ces événements vont alors susciter la curiosité mais aussi la stupéfaction du grand public et des médias. Ainsi, les collaborateurs du Président ne tardent pas à observer chez lui un comportement des plus insolites. Comble de l’ironie pour le fils d’un ancien opposant à Napoléon III, Paul Deschanel signe parfois ses décrets officiels avec le nom de Napoléon. Au cours d’un week-end au château de Rambouillet, on l’aurait aussi retrouvé, de bon matin, en train de pêcher des carpes dans l’un des bassins du domaine. Une autre fois encore, lors de la visite de quelques-uns de ses amis, le président de la République les aurait abandonnés lors d’une promenade pour grimper à un arbre en imitant le cri d’un oiseau. Pire : on raconte même l’avoir vu se promener avec comme seul vêtement le cordon de la Légion d’honneur. C’est à se demander si la République est présidée par un homme sain d’esprit.

Le voyage vers Montbrison

Le coup final de la carrière politique de Paul Deschanel arrive le 23 mai 1920. Lors d’un voyage en train de nuit vers Montbrison, le Président tombe sans raison valable de son wagon en marche. Heureusement pour lui, il ne se blesse que très légèrement mais se retrouve désormais seul et n’a pour seul habit que son pyjama. Marchant pendant plusieurs heures, il finit par trouver un ouvrier travaillant le long du chemin de fer. Ce dernier, stupéfié de se retrouver face au Président, le conduit jusqu’à la maison d’un garde-barrière qui soigne et couche l’auguste blessé. Quelques heures plus tard, le sous-préfet de Montargis arrive en voiture afin de conduire Deschanel à sa sous-préfecture. Malgré les tentatives d’étouffer l’affaire, les journaux font les choux gras de cet accident qui ridiculise Paul Deschanel. Ce dernier finit par démissionner, le 21 septembre 1920. Son mandat n’aura seulement duré que sept mois et trois jours. Annonçant sa décision, il adresse avec dignité ces quelques mots à la Chambre des députés : « Mon état de santé ne me permet plus d’assumer les hautes fonctions dont votre confiance m’avait investi […] L’obligation absolue qui m’est imposée de prendre un repos complet me fait un devoir de ne pas tarder plus longtemps à vous annoncer la décision à laquelle j’ai dû me résoudre. Elle m’est infiniment douloureuse et c’est avec un déchirement profond que je renonce à la noble tâche dont vous m’aviez jugé digne. La charge de président de la République implique en tout temps des devoirs graves : elle réclame une activité et une énergie au-dessus de toute défaillance. […] Ce sera le rôle et l’enviable privilège de mon successeur de glorifier […] devant le monde l’œuvre de la république qui, après avoir, il y a cinquante ans, sauvé l’honneur, a ramené sous nos drapeaux l’Alsace et la Lorraine. »

Malgré une tentative de retour en politique comme sénateur, Paul Deschanel décède deux ans plus tard, le 28 avril 1922, à l’âge de 67 ans. La folie de ce dernier est alors expliquée a posteriori par les médecins. On diagnostiqua au Président un trop grand surmenage et une forte anxiété en raison de sa charge politique ayant entraîné ces moments de confusion. Ainsi, même l’un des esprits les plus brillants de sa génération politique n’a pas résisté au poids du pouvoir qu’impose la charge de chef de l’État. Cette maladie a ainsi transformé l’une des grandes personnalités politiques de la France en une risible figure rocambolesque du début de notre XXe siècle.

Eric de Mascureau
Eric de Mascureau
Chroniqueur à BV, licence d'histoire-patrimoine, master d'histoire de l'art

Vos commentaires

44 commentaires

  1. Merci pour ce rappel. Deschanel a eu un comportement amusant mais qu en est il d un president aux agissements dangereux ?

    • Réflexion de Clemenceau quand il apprit que le président était tombé du train : il a enfin trouvé sa voie.

  2. Des mauvaises langues prétendirent que si Deschanel n’était pas très » net » s’était sans doute dû à sa naissance bruxelloise! Bon; n’empêche que les mêmes lui confièrent encore un poste de sénateur comme convalescence! Mais autre chose peut vous amuser, Clémenceau par 2 fois provoqua en duel à l’épée Deschanel, il le blessa la 1ere fois , et la 2eme alors qu’ils s’étaient mis en garde sur le pré, Deschanel jeta son épée, fit demi-tour et se sauva en courant! Clémenceau mort de rire l’apostropha d’un : »Vous nous quittez déjà Mr Deschanel ,,, »

  3. Il est probable que Deschanel souffrait du syndrome d’Elpénor, appelé parfois ivresse du sommeil. « Il est caractérisé par une confusion mentale et une désorientation spatiale et temporelle lorsque l’individu a consommé avant son sommeil de l’alcool ou des psychotropes selon certains cas et surtout pour les adultes. Il se manifeste aussi chez les enfants et les adolescents n’ayant consommé aucun stupéfiant. C’est un état de confusion entre le sommeil et l’état d’éveil qui se manifeste par des paroles ou des faits incohérents, et qui serait produit par un manque de sommeil ou une surcharge de stress ou de responsabilités. »

  4. Il y a eu, et il existe actuellement, des dirigeants occidentaux bien plus fous que Paul Deschanel : des fous dangereux pour les peuples.

  5. Un film (de Jean Marc Peyreffitte) , le Tigre et le Président raconte cette histoire. Le ton du film est bien celui du cinéma de gauche : Pas plus que Macron, Deschanel n’était pas fou ! Mais il avait des « idées », (qui ressemblent comme par hasard à des idées de gauche et surtout au pacifisme le plus béat comme peut l’être l’européisme de Macron). De bien drôles d’idées, si en avance sur son temps qu’on se demandait s’il avait encore les pieds (qu’il avait propres, dixit le garde barrière qui y vit là le signe de sa haute position) sur terre. Le film montre le « méchant » Clémenceau et le plus méchant encore Millerand (qui lui succèdera) exprimer un robuste bon sens servi par un verbe toujours mordant railler l’utopie souvent velléitaire de ce « pôvre » Deschanel. L’article ne rappelle pas que lorsque l’on demandait à Clémenceau vers qui son vote se dirigeait il répondait immanquablement : « Pour le plus bête ». Rude et ironique pied de nez de l’Histoire qui écarta le Tigre de la présidence.

  6. La chance pour les français de l’époque, fut de subir ce Président seulement sept mois, pour nous il s’agit de sept ans !

  7. On ne sait pas très bien, ou l’actuel locataire de l’Élysée se situe sur l’échelle de Richter psy, il y a des moments ou on peut légitimement se poser la question. Pour moi, c’est un « jusqu’au boutiste », joueur de poker, ça passe ou ça casse, il ne conçoit pas la possibilité d’un échec et ça, c’est dangereux, la constitution donne des prérogatives militaires au président, qui n’étaient pas faites pour un « farfelu ».

    • Un éminent professeur de psychiatrie italien a répondu à votre question en 2017. La Constitution de 58, dont vous soulignez très justement l’inadéquation à un tel « personnage » mais aussi l’inversion du calendrier électoral et le non cumul des mandats ont amplifié le désastre. Cette combinaison dans les mains de Macron est funeste pour le Pays qui paye et va payer encore plus cher d’avoir réélu un dangereux psychopathe.
      Il faut analyser ses discours, disséquer chaque mot. Lire et relire, pour comprendre que Macron c’est un David Copperfield (l’illusionniste) de très grans talent qui joue et triche avec les mots et la logique avec une intelligence diabolique.

  8. Deschanel était un fou gentil, démocratique et républicain. Quand il a senti qu’il dérapait et que ce ne serait pas bien pour le pays, il a démissionné. Un demi-fou patriote, rendons-lui les honneurs.
    À l’opposé, il y a le fou carrément psychopathe et sadique qui s’accroche à son pouvoir comme une sangsue « draculesque », prêt à faire taire, désocialiser, énucléer, emprisonner, ruiner, empoisonner par des substances dangereuses, psychiatriser, envoyer au front, ses opposants. Ou bien les laisser se faire égorger dans la rue… Peut-être même un jour les empaler, sait-on jamais, la guillotine étant interdite… Mais qui peut être un tel individu sorti des profondeurs de l’enfer pour être capable de faire cela ?

  9. Quitte à passer pour un cuistre, je reviens sur l’intéressant article de M. de Mascureau. 1) Les 13 présidents de la III°République (et non14, Thiers en étant seulement « Chef du pouvoir exécutif ») n’ont rien « dirigé », les Lois Constitutionnelles de 1875 consacrant leur « irresponsabilité »au profit du seul gouvernement. Ils « Inauguraient les chrysanthèmes » (de Gaulle dixit…). 2) Deschanel, au long d’ une carrière politique vouée uniquement aux discours, sans jamais avoir sollicité ni occupé le moindre poste gouvernemental, était considéré par tous comme une « utilité » protocolaire. Clémenceau, entre autres, le méprisait : venu saluer le « Tigre »chez lui après son élection à l’Elysée : « dites à ce monsieur que je n’y suis pas » fit répondre Clémenceau par son domestique… Quant aux « bizarreries » du président Deschanel, j’y ajoute son discours de Nice : ravi des applaudissements obtenus, Deschanel le recommença aussitôt, mot pour mot…

  10. Quelles solutions a t’on lorsqu’un président de la république, paraît-il démocratiquement élu, souffre de maladie psychiatrique ?

      • On a la tentation de mettre un autre nom en pensant « président de la république souffrant de troubles psychiatriques »…
        Mais il faut aussi se poser la question concernant tout ceux qui jouent dans le même sens que le foldingo dont nous parlons ici, er ce n’est pas Deschanels… La. part des suiveurs arrivistes, là pour leur seul intérêt, me semble en définitive la plus saine d’esprit, même si nuisible, mais combien d’esprits sont « sincèrement » embrumés par les thèses mondialistes de Davos?

    • Les outils informatiques d’aujourd’hui nous permettraient de nous passer complètement de représentants, et de diriger directement les affaires du pays, par le biais de référendums permanents sur tous les sujets. Personne ne serait obligé de participer. Ceux qui se foutent de leurs propres avenirs pourront donc continuer.
      Les autres décideront. Les détails seraient trop longs à développer ici, mais vous avez l’idée.

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