Le politologue Guillaume Bigot analyse à notre micro le remaniement opéré par Emmanuel Macron et Élisabeth Borne. Des changements à la marge pour un cap inchangé, sinon absent !

Marc Eynaud. Emmanuel Macron a procédé à un remaniement ministériel, que faut-il en penser ?

Guillaume Bigot. Ce n’est pas un remaniement, trois virgules ont été déplacées, c’est une sorte de volontarisme de saut de puce. Il n’y a pas grand-chose à penser car il ne s’est rien passé, ce n’est pas un remaniement mais c’est présenté comme un remaniement. Quel est le message ? Cette question nous incite à réfléchir. S'agissant d'Emmanuel Macron, cet homme qui n’avait jamais mis les pieds sur un parquet de bowling n’a fait que des strikes et on lui a prêté énormément de vertus et de qualités. Selon l’adage « on ne prête qu’aux riches », cet homme est auréolé de l’idée qu’il serait très habile et aurait une vision à très long terme. Rien de tout cela n’est vrai. Avec la nomination de Mme Borne, on s’attendait à un Premier ministre avec un profil étonnant, séduisant, à une personnalité capable d’affronter une situation politique nationale et internationale extrêmement compliquée.

M. E. Vous attendiez-vous à un gouvernement de coalition allant par exemple de Fabien Roussel à Robert Ménard ?

G. B. Je m’attendais à ce qu’il y ait des gages donnés à l’opinion, ainsi que la prise en compte, par le chef de l’État, que le peuple français chercherait à se venger de s’être fait confisquer le débat présidentiel. En effet, pendant le scrutin, le Président a mis en avant la pandémie puis la crise géopolitique en tirant prétexte pour enjamber l'élection, sans réellement s’adresser aux Français, présenter un programme, rendre des comptes et entraîner l’opinion publique. Il a été élu par défaut et on avait anticipé que l’opinion pourrait se venger et lui faire savoir qu’elle était mécontente. Mais l’opinion a fait plus que cela. Elle s’est emparée du scrutin législatif pour envoyer un message très clair : si on additionne les voix du RN et de La France insoumise, il y a une très forte majorité de blocage contre le programme dit « des réformes ». On y trouve tout le programme euro-libéral soufflé par Alain Minc et Jacques Attali depuis trente ou quarante ans. Cela a commencé avec Delors et a fini par Macron. On a la même politique. On peut changer de politiciens, d’élus, mais on ne change pas de politique. Cette trajectoire nous est imposée avec les fameuses réformes qui tardent à venir mais que tout le monde veut faire, et Macron le premier. Le message envoyé par les 47 % de nos concitoyens qui ont voté pour La France insoumise ou pour le Rassemblement national est très net : il y a une forte majorité contre ces fameuses réformes. On constate une forme d'autisme politique. Un gouvernement d'union nationale avec Fabien Roussel ou Robert Ménard aurait été un moyen de dire à l’opinion publique « Je vous ai compris, je vous ai entendus et j’ai tenu compte de ce que vous avez dit ». Au lieu de cela, on a eu : « Vous ne voulez pas du macronime, on fera plus de macronisme, vous ne voulez pas des réformes euro-libérales, on va les accélérer, vous ne voulez pas du wokisme, on va vous faire du wokisme, vous ne voulez pas de l’Europe, on va vous faire de l’Europe. » On a l’impression que cette politique dictée par la nomenclature française est un peu l’équivalent de la cuillère d’huile de foie de morue donnée aux enfants !

M. E. Quelle option reste-t-il à Emmanuel Macron ?

G. B. Soit il va y avoir un gouvernement a minima, c’est-à-dire un gouvernement par décret. C’est possible, mais ce n’est pas gouverner la France. Le 49-3, comme la dissolution, sont des armes qu’on ne peut utiliser qu’avec parcimonie. On ne peut utiliser le 49-3 qu’une fois par session parlementaire. Par ailleurs, la dissolution ne pourrait qu’aggraver le tableau. On peut imaginer que les 53 % de Français qui ne se sont pas déplacés aux urnes, ce n’est pas parce qu’ils sont satisfaits de la politique proposée par le président de la République. On ne sait pas ce que pensent les abstentionnistes, mais on peut imaginer quand même que si nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à s’abstenir, c’est qu’ils ne trouvent pas leur compte dans l’offre politique. La dissolution ne pourra intervenir qu’à l’occasion d’une crise, et ce sera un fusil à un coup. Il ne pourra y avoir qu’une dissolution. La stratégie la plus tentante pour M. Macron est probablement de faire porter au Parlement la responsabilité d’une crise, quelle qu’elle soit, et tirer prétexte de l’obstruction parlementaire et de cette majorité de blocage pour dire : « Regardez, c’est leur faute. »

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05 juillet 2022 à 19:10

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