La grande misère des grandes surfaces

N’allez pas croire que je me mets au-dessus de la mêlée. C’est en poussant mon Caddie® comme les copains, en préparant Noël, qu’il m’est venu ces réflexions. Comme beaucoup de mes frères humains, mes petits moyens m’obligent parfois à fréquenter ces lieux inhumains qu’on appelle grandes surfaces.

En observant mes frères en humanité, j’ai ressenti une immense tristesse.

Car il y a une grande misère des grandes surfaces.

Au Moyen Âge, que je connais bien pour y avoir vécu, la misère avait une certaine dignité. Oh, on n’était pas des anges, et le dur labeur ne rendait pas aimable, et ça puait grave dans les chaumières. L’hygiène, ça n’existait pas… mais, comme dit Céline (Mea Culpa) "nous étions au Moyen Âge plus près d’être unis qu’aujourd’hui… un esprit commun prenait forme. Le bobard était bien meilleur « monté poésie », plus intime."

Si, aujourd'hui, l’Homo festivus donne un si triste spectacle, à quelques moments privilégiés par le matérialisme mercantile, c’est qu’on a remplacé la joie de la fête par l’agitation compulsive de la consommation. L’Homo festivus est, certes, excité, dans une frénésie qui frôle parfois l’hystérie, mais il n’est pas joyeux. Et ce ne sont pas quelques flashmobs ridicules d’Anglo-Saxons déguisés comme au temps de Dickens, chantant des Christmas carols dans les centres commerciaux, qui vont nous réchauffer le cœur. On a tous en mémoire des vidéos de scènes hallucinantes tournées en période de soldes ou de Black Fridays montrant de braves gens transformés en bêtes qui se battent pour un écran plasma fabriqué en Chine, arraché à 50 %.

Oui, je suis triste parce que, à cause de mon ordinateur à quatre sous sur lequel je vous écris, je suis bien du XXIe siècle, mais mon cœur, mon âme, mon intellect sont du XIIIe.

"Le treizième siècle parlait au cœur", disait Christian Bobin (Le Très-Bas). "Il ne lui était pas nécessaire de parler fort pour se faire entendre. Les chants du Moyen Âge font à peine plus de bruit que de la neige tombant sur de la neige. Le vingtième siècle parle à l'œil, et comme la vue est un des sens les plus volages, il lui faut hurler, crier avec des lumières violentes, des couleurs assourdissantes, des images désespérantes à force d'être gaies, des images sales à force d'être propres, vidées de toute ombre comme de tout chagrin. Des images inconsolablement gaies. C'est que le vingtième siècle parle pour vendre et qu'il lui faut en conséquence flatter l'œil - le flatter et l'aveugler en même temps. L'éblouir. Le treizième siècle a beaucoup moins à vendre - Dieu ça n'a aucun prix, ça n'a que la valeur marchande d'un flocon de neige tombant sur des milliards d'autres flocons de neige."

Le Moyen Âge était hautement spirituel et avait la verticalité des cathédrales européennes, mais surtout françaises. Les flèches de ces cathédrales montraient du doigt le sens des choses : de bas en haut, et témoignaient – témoignent encore – que la religion, effectivement, « reliait » – relie encore un peu – le Ciel et la Terre, et les hommes entre eux.

Mais il est vrai que la courbe spirituelle de la culture descend depuis la Renaissance[ref]Leitmotiv de Jacques Maritain dans Frontières de la poésie et dans Art et Scolastique[/ref] et, aujourd’hui, toute verticalité est mise à plat. Et vous aurez beau dire, et vous esbaudir, notre Président si vertical est plat comme une grande surface, et les Français semblent s’en satisfaire.

Les centres commerciaux sont aussi horizontaux que les cathédrales sont verticales. La préoccupation des hommes – leur nouvelle religion – n’est plus d’élever son âme mais de pousser son Caddie®. Et je suis triste pour mes frères humains.

Allez, va… souriez… c’est pas si grave… je vous dis ça… c’est manière de causer…

N’oubliez pas… un Sauveur nous est né..., non ?

Joyeux Noël quand même.

Frédéric Marc
Frédéric Marc
Cadre culturel

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