Général Vincent Desportes : « Cette décision d’utiliser Sentinelle est politiquement et humainement dangereuse. »
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Le général Vincent Desportes analyse la décision et les risques d'utiliser les militaires de l'opération Sentinelle pour les manifestations de samedi prochain : "On risque de se retrouver dans des situations compliquées."
Emmanuel Macron a déclaré, ce matin, que des militaires du dispositif Sentinelle remplaceraient les forces de police et de gendarmerie pour garder des points statiques.
Est-ce une pratique courante dans la gestion de manifestation ?
Utiliser les armées pour faire du maintien de l’ordre est tout sauf courant. Je pense, sans me tromper, que la dernière utilisation de militaires pour le maintien de l’ordre sur le territoire national remonte à la guerre d’Algérie. On doit bien comprendre que c’est une décision sûrement technique mais beaucoup plus, encore, politique. Utiliser des militaires, c’est utiliser des forces de 3e catégorie, c’est-à-dire des forces qui ne sont pas entraînées, formées et équipées pour le maintien de l’ordre. Elles sont entraînées, équipées et formées à utiliser des armes létales destinées à tuer. On voit bien que, quelles que soient les précautions prises, cette décision est peut-être raisonnable mais, en tout cas, politiquement et humainement dangereuse.
Les militaires ne sont pas formés au maintien de l’ordre et ne sont équipés que de leurs fusils d’assaut. Si des militaires sont attaqués par des émeutiers, leurs moyens de riposte seront limités…
Si, par malheur, des émeutiers - parce qu’il faut bien les appeler par ce nom - en venaient à rentrer directement en contact avec les militaires de la force Sentinelle, le dilemme serait élevé. Les militaires n’ont pas toute une gamme d’armements ou d’équipements leur permettant d’éviter l’utilisation des armes létales. Soit ils ne font rien, et auquel cas l’armée française est ridiculisée. Soit ils utilisent leurs armes, qui sont destinées à tuer.
Le droit dit aux militaires qu’ils ont le droit d’utiliser leurs armes en cas de légitime défense. La légitime défense ne se réduit pas à eux-mêmes, mais est élargie aux biens et aux personnes qu’ils sont chargés de sécuriser et de défendre. Ce que dit le droit également, c’est que la réponse doit être proportionnelle. On est devant une grande difficulté. Si un militaire utilise son arme pour se défendre, mais si on peut prouver que les émeutiers ne voulaient pas le tuer et que le militaire tue, alors c’est le militaire qui aura tort. On risque donc de se retrouver devant des situations juridiquement extrêmement compliquées.
J’espère très vivement que les dispositifs globaux seront organisés de manière que ce contact n’ait pas lieu.
Appeler aussi rapidement l’opération Sentinelle ne montre-t-il pas qu’il y a un problème dans la gestion du maintien de l’ordre et dans le manque d’évolution de notre doctrine ?
Vous avez raison. Il y a un vrai problème, aujourd’hui, avec les moyens consacrés par la République française au maintien de l’ordre.
Ils étaient adaptés à une démocratie bienveillante, à l’encadrement de manifestations dont la vocation n’était pas de détruire, voire de tuer. On voit bien que nous avons eu une montée de la violence.
Nos forces de l’ordre sont rapidement débordées. Cela prouve qu’elles ne sont plus adaptées. Elles ne sont plus adaptées dans trois dimensions.
D’abord, elles ne sont plus adaptées en termes d’équipements. On leur a, petit à petit, enlevé tous les équipements qui présentaient un certain danger : les grenades de désengagement, les LBD... Les équipements ne font donc plus peur. Par conséquent, les forces de police ne dissuadent plus.
Le deuxième plan est celui de la doctrine. Pour l’instant, la doctrine française préfère la destruction des équipements et des matériels aux blessés. On protège les personnes plutôt que les biens. Ce qui se traduit par un recul des forces de police si nécessaire. On évite le contact, mais comme les manifestants le savent, ils n’ont plus peur de ces policiers. La consigne générale est d’éviter tout affrontement de corps-à-corps. On a un problème de doctrine qui n’est plus adaptée.
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