Général Bruno Clermont : « Poutine peut mettre tout le peuple russe en armes » 2/4

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Alors que les combats se poursuivent en Ukraine, le général de corps aérien (2S) Bruno Clermont, consultant défense de CNews, décrypte pour Boulevard Voltaire la situation politique et stratégique et révèle les clés du conflit. Nous publions aujourd'hui le deuxième volet de cet entretien exceptionnel (Pour lire le premier volet : « Il est prématuré de dire que l'armée russe s'enlise »).

Marc Baudriller. Sur le plan tactique, quels sont les choix de l’armée ukrainienne et de l’armée russe ? Quelles sont leurs forces et leurs faiblesses ?

Général Bruno Clermont. Les Ukrainiens refusent le combat classique, armée contre armée, en terrain libre. Ils mènent une guerre de guérilla et une guerre de harcèlement et d’usure. Ils se retranchent aux abords des villes et défendent leurs positions tout en attaquant les convois et la logistique russes. Quant à elle, l’armée russe est très statique. Elle utilise la puissance de son artillerie, de ses lance-roquettes multiples, de ses missiles de croisière, de ses missiles sol-sol et de son aviation de bombardement. Le nombre de pièces d’artillerie de l’armée russe est considérable. Il faut toutefois noter que les généraux russes utilisent très mal leur puissante aviation. Ils auraient dû avoir éliminé depuis longtemps la modeste aviation ukrainienne et sa défense sol-air afin de posséder la supériorité aérienne. Les Ukrainiens contrôlent encore la moitié ouest de l’espace aérien. On assiste à un mélange de « guerre à l’ancienne », de guerre d’usure, d’attrition, de position, avec parfois de la haute technologique même si l’usage de missiles hypersoniques ne change rien à la guerre. Poutine rappelle simplement aux Américains qu’il maîtrise des technologies que les Américains n’arrivent toujours pas à maîtriser malgré des investissements colossaux. S’agissant des pertes, elles sont très importantes du côté russe, mais aussi probablement du côté ukrainien, pour lequel nous avons très peu de chiffres. Poutine est en colère, en rage, déterminé et isolé, donc il est dangereux. Il ne peut pas gagner cette guerre et il ne peut pas non plus la perdre.

M. B. Comment le conflit peut-il s’arrêter et se régler ?

Gal B. C. Il y a, à peu près, unanimité sur les objectifs de Poutine au départ. Il partait du principe que l’Ukraine ne résisterait pas, qu’il prendrait Kiev pour installer un gouvernement fantoche et qu’il annexerait une partie du pays. Le tout en quelques jours. Il a désormais compris que ce serait très difficile. Il ne peut pas perdre la guerre et ne peut pas la gagner comme il comptait le faire. Après cette première phase qui s’est conclue par un échec, l’armée russe semble avoir changé de stratégie militaire avec un désengagement des forces qui devaient prendre Kiev et la concentration de l’effort militaire sur le Donbass. En fonction des progrès réalisés au Donbass, il pourrait être plus ou moins ambitieux pour le reste de sa conquête du territoire ukrainien, avec comme objectif suivant la continuité territoriale entre le Donbass et la Crimée. Puis pourrait venir le contrôle de la Crimée à Odessa. Restera, évidemment, la question de Kiev. Où passera la ligne de démarcation qui serait l’aboutissement d’un cessez-le-feu et d’un accord ? On ne le sait pas et Poutine, probablement, ne le sait pas lui-même à ce jour. Ce sont les combats qui détermineront ce point. Maintenant, il ne faut pas oublier un aspect important : grâce au soutien militaire occidental, les Ukrainiens pourraient estimer qu’ils sont capables de chasser les Russes d’Ukraine. Ce qui pourrait prolonger la guerre ou causer une escalade du niveau de violence de la part de l’armée russe.

M. B. Le président russe a-t-il une échéance ?

Gal B. C. Encore une question à laquelle il est difficile de répondre. Dans tous les cas, il a un rendez-vous important avec le peuple russe, le 9 mai, la grande fête patriotique annuelle de la Russie et de ses forces armées pour célébrer la victoire contre l’Allemagne nazie. Il serait préférable que les forces russes aient progressé sur le terrain pour que Poutine ne soit pas bredouille ce jour-là. Mais c’est dans seulement cinq semaines. Pour l’instant, c’est une défaite en rase campagne. Il n’a rien gagné de significatif. Il lui faut au moins un succès territorial à afficher à cette date.

M. B. Faire la guerre suppose un peuple uni. Poutine pourrait-il perdre le soutien de sa population ?

Gal B. C. Pour les Russes, cette guerre n’en est pas une, c’est une opération spéciale. Mais des milliers de cercueils sont en train de rentrer. Le vent peut tourner. Alors, Poutine a une alternative : transformer cette opération spéciale en guerre patriotique : mobilisation générale, économie de guerre. Il peut mettre tout le peuple de la Russie en armes. Les Russes peuvent mobiliser 850.000 hommes et faire tourner une économie de guerre pour fabriquer des avions, des tanks, etc. On partirait alors sur une guerre longue et douloureuse. On ne peut écarter à ce stade cette option maximaliste.

M. B. Quelles seront les leçons stratégiques de cette guerre pour l’armée française ?

Gal B. C. Nous avons une excellente armée mais on a des trous capacitaires : les drones, par exemple. Et, surtout, nous n’avons pas assez de matériel et de munitions. Notre armée n’est pas formatée pour une guerre de ce type. Pour cela et pour tenir notre place dans une coalition à la hauteur du rôle de la France, il faudrait doubler le budget de la Défense. Les généraux soulignent depuis des années les limites de nos armées lors des auditions devant les commissions spécialisées. Les députés écoutent, mais le Parlement vote, chaque année, des budgets insuffisants. Le dernier budget n’est d’ailleurs pas ridicule. Le Président Macron a arrêté l’hémorragie avec une loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 inhabituelle : le malade était à l’agonie, il est sorti des soins intensifs, maintenant il faut lui apprendre à courir. En septembre 2018, le général Lecointre, chef d’état-major des armées, déclarait dans le journal Le Monde : « Nous resterons une armée de temps de paix », faisant référence à la LPM 2019-2025 qui doit faire monter le budget de la Défense à 50 milliards d’euros en fin d’exercice. Son message est assez clair et les faits lui ont donné raison.

M. B. La France serait-elle capable, aujourd’hui, moralement, d’une résistance patriotique semblable à celle de l’Ukraine ?

Gal B. C. L’Ukraine montre que les nations ne veulent pas mourir. Je suis convaincu que la France serait capable de se défendre malgré tout. Tout bascule très vite. Vous faites très rapidement d’un soixante-huitard attardé un combattant. À partir du moment où sa famille et sa vie sont menacées, la motivation est là. On a tous la guerre en nous, c’est dans la nature humaine. Mais nous avons oublié ces guerres patriotiques, ces guerres de survie. Depuis trente ans, nous ne connaissons que des guerres de maintien de la paix ou de défense des intérêts occidentaux comme lors de la guerre en Irak. Mais quand la survie de la nation est en jeu, on ne voit plus les choses de la même manière. Encore faut-il qu’on ait préparé en amont la résilience de la nation. C’est le défi auquel nous devons faire face. (À suivre).

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

23 commentaires

  1. Pour faire comme les Ukrainiens il faut avoir des racines. Or en France le pourcentage de français ayant des racines françaises à défendre va en s’amenuisant dangereusement. Il y a tellement de « Français » crachant sur la France que ceux-là je les vois mal en défenseur du territoire qu’ils envahissent.

  2. Poutine est en colère, en rage, déterminé et isolé, donc il est dangereux.
    Que vient faire ce genre de phrase, qui n’est qu’une supposition à partie de ce qu’on ne comprend pas de la stratégie russe, dans une analyse militaire?

  3. C’est triste cette nation Ukrainienne dont les hommes meurent pour ne pas vivre neutres, hors OTAN et sans ogives nucléaires pointées sur les Russes (comme la si opulente Suisse). C’est triste que les hommes Russes meurent parce qu’ils ont le dos au mur et que l’expansion inamicale de l’OTAN (et leur discours) signe leur haine historique des Russes et les met dos au mur.

  4. Oublions les soixante-huitards qui ne sont plus en état de se battre
    Je suis plus inquiet sur la génération des « quadras » et de leurs enfants qui seraient en âge de se battre
    Je ne vois pas beaucoup d’entre eux accepter de vivre dans les conditions où certains d’entre nous ont simplement fait leur « régiment » et encore moins faire la guerre
    Le moindre accident de la route nécessite aujourd’hui une assistance psychologique
    En réalité, notre société occidentale est « sous psychotrope »

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