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Le refuge de la Province et celui de l'étranger sont une consolation. [...] De mon côté, les contrats littéraires se font rares, les traductions se multiplient, pour vivre, pour ménager un revenu, rester dans le jeu, éviter de devenir rédacteur en publicité. Le Figaro continue de m'envoyer à travers la planète pour tester un palace au Brésil ou une randonnée en Indonésie, au milieu de journalistes de gauche qui s'apitoient sur la misère après avoir demandé à être surclassés. Partout s'installent le maccarthysme tiers-mondiste, l'antiracisme totalitaire, la novlangue socialiste. [...]

À la fin des années 90, un de mes lecteurs, devenu depuis secrétaire des débats au Parlement, essayiste et biographe du Curé d'Ars, me demande la permission de donner mon numéro de téléphone à Renaud Camus, qui vit non loin de chez moi. Ce dernier voudrait mettre une partie de son journal sur Internet en profitant des ressources naissantes de l'hypertexte, le texte qui accumule notes et incidentes dont sa littérature relève depuis le début.

C'est l'occasion de rencontrer une deuxième fois Renaud Camus, cet écrivain de ma génération avec qui j'ai posé dans un magazine de mode dix ans plus tôt. Cette fois, c'est dans le château du XIVe siècle qu'il occupe sur une colline à Plieux, près d'Agen. Il est entouré de toiles de huit mètres peintes par son ami Marcheschi, dans le froid, la lumière, le chant des oiseaux et le rugissement lointain des camionnettes qui gravissent les côtes alentour. Camus est un abstrait. [...]

Je réprouve [...] son rapport intellectuel à la peinture, son côté « petit pan de mur jaune », alors que, pour ma part, je me flatte, sans doute exagérément, d'être un humble portraitiste, en somme un artiste selon le peuple, même si mon meilleur ami de l'époque est Tibor de Nagy, un marchand d'art new-yorkais d'origine hongroise, âgé de 70 ans, qui a fait partie des découvreurs de Jackson Pollock. C'est le moment d'indiquer en quoi la gauche française aura désigné, défini, honni son propre « art dégénéré », comme les totalitaires des années 30 en Allemagne. Sauf que, cette fois, c'est l'aquarelle de Rocamadour qui est devenue hors la loi, et j'ai même un exemple.

Parmi mes voisins à la campagne figure un couple de peintres à l'ancienne, c'est-à-dire qui vivotent en plaçant des portraits, des natures mortes et des scènes inspirées du XIXe siècle. Le mari finit par trouver une sorte de marché de niche en pastichant les grandes marines hollandaises, qu'il vend à des décorateurs et des nababs sur la Côte d'Azur. Mais la vie est difficile, et surtout ils ne perçoivent aucune des subventions accordées à ceux qui projettent du plâtre sur une toile noire, et la presse les ignore. Le résultat est qu'à l'âge de soixante ans, ils sont pauvres. Poursuivis par le fisc, ils calfeutrent un matin les fenêtres de leur petite maison et s'endorment, pour toujours, en habits du dimanche, pour avoir reçu un redressement fiscal dépassant de trois fois leurs revenus de l'année. Aucune exposition ne voulait d'eux, aucune galerie, aucune mairie, aucun conseil général pour ne pas déplaire au moloch de l'opinion socialiste qui exigeait de la modernité même sans talent, alors qu'il existe encore une grande moitié des artistes qui possèdent du talent sans aucune modernité. Mais l'un des grands péchés devant la nouvelle société à l'américaine, si bien épousée par le système marchand européen, c'est incontestablement le fait de posséder un don, d'être fait pour quelque chose à la naissance, et la France qui vient de fêter le bicentenaire de la Révolution ne veut voir qu'une seule tête, celle du citoyen, dont les enfants possèdent les mêmes chances au départ. Et par conséquent, d'où qu'il vienne, les mêmes aptitudes. D'ailleurs, dans le monde marchand américain, le talent s'achète, il y a des écoles pour l'acquérir, des sites Internet pour en apprendre les règles, les codes, les réseaux, et pour bénéficier de la clientèle institutionnelle des marchés publics. En littérature, il a un équivalent, c'est le creative writing, dont je suis bien placé pour connaître les ravages puisque le hasard m'a placé chez l'un des éditeurs les plus friands de succès américains, Robert Laffont, repris par un attaché commercial, lequel, pour m'obliger à justifier mon salaire d'auteur français, m'oblige à combler le déficit en traduisant des horreurs en provenance de Boston.

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19 août 2017 à 11:05

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