Erdoğan : les raisons d’une victoire

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C’était prévisible. Recep Tayyip Erdoğan (52,2 %) a vaincu Kemal Kılıçdaroğlu (47,8 %) et s’apprête à rempiler pour un troisième mandat présidentiel de cinq ans. Certains y verront une défaite des sondages, mais le résultat du président sortant, au premier tour de cette élection (49,5 %), se situait dans la traditionnelle marge d’erreur des enquêtes d’opinion. Ce qui est vrai à Paris l’est aussi à Ankara.

En revanche, la véritable défaite serait plutôt celle de nos confrères, nombreux à n'avoir pas anticipé ce menu détail voulant que le peuple turc puisse voter sans tenir compte des désirs médiatiques occidentaux. Et c’est ainsi que l'opposant à Erdoğan, Kemal Kılıçdaroğlu, candidat du CHP, est devenu leur homme lige ; ce qui n’a d’ailleurs guère dû l’aider durant sa campagne électorale, puisque cette aura en a fait une sorte de candidat de l’étranger.

L’homme n’est évidemment pas sans stature et son résultat final n’a rien de ridicule, mais était-il celui de la situation ? Hormis un manque de charisme évident, son premier point faible est d’être issu de la minorité alévie (entre 10 % et 25 % de la population, selon les sources), pratiquant un islam chiite empreint de spiritualité tenu pour hérétique par le sunnisme traditionnel. Le deuxième point faible consiste à s’être allié avec le HDP, le parti pro-kurde. Le troisième, c'est de n’avoir pas compris que la campagne allait se dérouler sur un fond nationaliste encore plus intransigeant que d’habitude.

En effet, c’est Sinan Oğan, candidat du MHP, parti ultranationaliste et troisième homme de ce scrutin présidentiel, qui a fait la différence, avec ses 5,2 %, lorsqu'il a appelé ses fidèles à voter Erdoğan au second tour. Oğan est certes un nationaliste laïc et Erdoğan un nationaliste religieux, mais les deux sont… nationalistes et peu suspects d’être sous influence occidentale.

Au cœur du programme du MHP, il y a le renvoi de 3,7 millions d’immigrés syriens ayant fui la guerre civile qui enflamme leur contrée d’origine. Cela n’a rien d’incongru pour ses homologues de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir. En effet, il faudrait être bien naïf ou ne rien comprendre à l’islam pour imaginer qu’il suffise que tous ces gens soient musulmans pour qu’ils en deviennent automatiquement des frères au sein de l’oumma, la communauté des croyants. Celle-ci cache bien des différences. Si les Syriens sont arabes et parlent l’arabe, les Turcs ne sont pas arabes et ne parlent pas l’arabe. Quant aux considérations humanitaires, elles auraient plutôt tendance à passer, là-bas, pour afféteries d’Occidentaux fragiles.

Cela, Kemal Kılıçdaroğlu a fini par le comprendre, reprenant à son compte le concept de ces millions d’immigrés plus ou moins clandestins à reconduire d’urgence à la frontière ; mais trop tard, ce revirement ayant eu lieu à quelques jours du second tour.

Adel Bakawan, chercheur associé à l’IFRI (Institut français des relations internationales), note : « Son discours ne tient pas, il est pragmatique alors qu’Erdoğan exploite le récit de la religion, de l’histoire, de manière cohérente pour se faire élire, il est alors davantage crédible. » Pour ce spécialiste de la région, la suite est quasiment écrite d’avance : « Erdoğan devra gérer l’extrême droite de manière subtile, sans jamais la brutaliser, mais sans les laisser prendre toute la place non plus. […] Confortablement réélu, il se présentera comme un rassembleur, respecté à l’intérieur et à l’extérieur, avec la volonté d’apaiser la société turque. » Ayant déjà enrôlé les nationalistes kémalistes, fussent-ils laïcs et tenus eux aussi pour être « d’extrême droite », sous sa bannière islamique, le reste ne devrait être probablement que simple formalité.

Le dernier détail qui aura fait trébucher Kemal Kılıçdaroğlu demeure sa proximité, réelle ou supposée, avec les milieux homosexuels et lesbiens turcs. En France, c’est avec « l’extrême droite » qu’on fait peur aux électeurs ; en Turquie, c’est avec les LGBTQI+. Et quand Recep Tayyip Erdoğan, en plein meeting, harangue la foule de la sorte « Est-ce que le CHP est LGBT ? », cette dernière hurle que « oui ». Quant à la question consistant à savoir si « l’AKP est LGBT », la réponse est évidemment « non ». Ajoutez un discours sur « la dimension sacrée de la famille », et emballez c’est pesé !

C’est sûrement court, probablement injuste et peut-être même parfaitement faux. Mais, finalement, guère plus malhonnête qu’une Élisabeth Borne affirmant que le Rassemblement national est l'enfant du maréchal Pétain.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

21 commentaires

  1. Entre le sultan Erdogan et son opposant, marionnette des Amerloques, le choix était cornélien.
    Ce qui me réjouit, par contre, c’est de voir la trombine des « journalistes » du cartel des médias subventionnés qui n’ont pas digéré cette réélection.
    Pour mieux comprendre ce qui se passe en Turquie, je recommande l’analyse pertinente que vient de faire Laurent Artur du Plessis, sur TVL.

  2. La disparition de l’empire Ottoman n’est pas un fait acquis, même s’il date de plus d’un siècle. Nous ignorons tout de l’histoire du Khalifat et de la mentalité Orientale et les Américains, encore davantage. On devrait considérer comme important, ce résultat qui fait une large part à l’opposition, en dépit de la tradition musclée du régime, mais il implique une véritable connaissance de la civilisation Turque et de son influence sur le bassin Méditerranéen. Cet article a le mérite d’ouvrir quelques perspectives essentielles, encore à développer.

  3. Le réélu n’est certes pas recommandable sur beaucoup de points mais son adversaire était le candidat des américains et de l’occident qui comptaient bien se servir de lui face à la Russie afin d’étendre le conflit .

  4. Il semblerait que les Américains perdent la main en Turquie. Après l’échec du dernier coup d’état contre Erdogan, c’est aujourd’hui celui du changement de régime avec leur candidat anti-AKP. Les conséquences en seront chez nous le renforcements des Frères musulmans soutenus par le pouvoir turc. Une perspective qui n’inquiète manifestement pas Bruxelles qui n’a toujours pas renoncé à l’adhésion de la Turquie.

    • Pour la Turquie, la France, l’Allemagne et l’Europe, c’est « open bar » (consommations gratuites, servez-vous).
      L’empire romain de Byzance ou Constantinople a duré un millier d’années, pour finalement passer aux mains des Turcs. Mais les soldats de Constantinople (6000 contre 200 000 Turcs), eux au moins, se sont battus et la ville a résisté deux mois. Pillage, viols, égorgement des vieux, pour les autres : esclavages, ont été les conséquences de cette défaite ; et Constantinople est devenue Istanbul.
      Mais les européens n’ont pas de culture historique, les Français encore moins.

  5. Il a triché, c’est tout. Je sais que ça fait mal au cœur mais il faut arrêter de croire que les bulletins de vote servent à quelque-chose.
    Si il y a moins de 30% d’écart entre deux candidats, c’est le plus gros tricheur qui gagne, voilà tout.

  6. Un candidat était il capable de lutter contre la fraude électorale vraisemblablement bien mise en place par le sortant. La bonne nouvelle, c’est que son élection devrait barrer la route à une entrée dans l’UE.

  7. L’empire ottoman est en pleine ascension. C’est le seul qui peut arbitrer la nouvelle guerre froide entre le G7 et le BRICS (puisqu’il fait partie des 2 et est donc l’intermédiaire idéal). En refusant la banalisation de l’homosexualité, il refuse la décadence dans laquelle se vautre l’Occident.

  8. Comment les Macron, Biden, Zelinsky, etc ont ils pu féliciter ce monstre qui persécute les homosexuels et autres LGTQB ? Et la Borne qui reprochait à Marine Le Pen d’avoir été photographiée, il y a quelques années, aux côtés de Poutine ? Mais c’est l’église qui se moque de la charité ! En tant que con-tribuable, j’aimerais savoir combien nous coûte l’organisation des élection turques, algériennes, etc, organisées en France ? Ces pays organisent-ils également les élections françaises aux frais de leurs contribuables ? Et toutes ces manifestations bruyantes pour fêter la réélection de ce grand démocrate : les autorisations de manifester ont-elles été déposées ? Sinon, combien de contraventions pour ces manifestations illégales ? Mais il est vrai qu’en France il y a les bons manifestants et les mauvais manifestants. Ah, égalité et liberté d’expression :bientôt un bon souvenir dans ce pays où l’on soutien Erdogan ….

    • Oui vous avez raison , la réciprocité n’est pas de mise . Les turcs et algériens sont de bons nationalistes qui on le droit d’exprimer et de fêter haut et fort l’élection de leurs présidents nationalistes , identitaires et religieux de président y compris dans un pays qui se dit au premier rang du wokisme , de l’inclusif et des délires LGBTQetc . Tout cela prouve surtout notre faiblesse à tous les égards. que ce soit pour laisser passer les théories les plus extrêmes, nationalistes ou mondialistes du moment qu’elles ne sont pas « franchouillardes » .C’est le grand remplacement physique mais aussi culturel !

  9. Peut-être que le peuple Turc réagit comme le peuple Français, c’est-à-dire la peur du changement.

  10. Bonjour, Maintenant qu’il a testé M Macron, il sait que la France est à sa portée, les turcs qui ont rejoint la France pour soit disant fuir le sultan ne sont que l’armée avancée. Ils ont apparemment votés massivement pour leur oppresseur! Étrange quand même. L’affaire des vedettes qui ont mis en joue un navire soit disant ami (otan) et qui aurait demandé une réponse toute aussi amicale, mais ferme a fait pchit . La brillante absence de réaction americanoeuro en dit long sur notre avenir.

    • En occupant militairement une partie de Chypre, la Turquie s’est faite une idée précise et probablement définitive des invertébrés qui dirigent l’Europe et les pays qui la composent. Erdogan sait qu’il peut provoquer aussi bien l’Europe que ses alliés de l’OTAN en toute impunité. Les Turcs sont probablement plus fiers de ce type de dirigeants que ne le sont certains autres peuples européens de leur personnel politique s’usant le ventre à force d’être à plat ventre devant les diktats et wokisme États-uniens.

      • Les turcs ont une position stratégiques qui leur premettent une grande liberté et en même temps d’imposer leur diplomatie sur celle de l’UE complètement dépassée et tributaire des américains . Les américains ont besoin de la Turquie tout comme ils ont besoin de la Pologne et ces deux pays profitent de cette situation favorable ; Oui , de nombreux trucs occupent notre pays et les pays européens qui les acceuillent en grand nombre grâce à notre et notre soit disant « tradfition d’accueil dont se gargarisent nos politiques qui utilisent ce raccourci commode pour ne pas dire qu’ils sont impuissants à gérer le phénomène . Les pays algériens , turcs ou marocains le savent et ne jouent sans complexe pour influer sur notre politique intérieures et nous imposer leurs vision de choses . Nous nous sommes fait dépasser par les évènements et nos propres lois d’accueils qui sont devenues des chevaux de Troie pour toutes sortes de mouvement ^politico religieux issus de l’étranger qui nous minent de l’intéireur .

  11. En Turquie comme ailleurs les médias et dirigeants progressistes occidentaux ne raisonnent que par rapport à l’économie et à la démocratie et supposent donc que, compte tenu de la dérive autoritaire du pouvoir et de la situation économique de la Turquie, Erdogan ne devrait pas être réélu. Mais ils sous estiment largement le sentiment national, la fierté des Turcs de voir leur pays parler d’une voix forte et être devenu incontournable sur la scène internationale. Malgré les difficultés de la population, celle-ci ne vote pas uniquement par rapport au pouvoir d’achat …

      • En effet, on peut avoir de sérieux doutes, moins d’une heure avant la clôture des dernières élections, Marine Le Pen possédait environ deux millions de voix d’avance. (voir un article de France Soir à ce sujet). Il est pratiquement reconnu aux États-Unis que Biden a fraudé. Sans doute les conseillers de Mac Kinsey…

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