Entre égoïsme énergétique et solidarité européenne, les Français sont sommés de choisir !

kwon-junho-CdW4DAF5i7Q-unsplash

Les mauvaises nouvelles énergétiques se suivent et se ressemblent au point qu’on pourrait croire à une communication synchronisée entre l’exécutif français et le pouvoir russe. Parallèlement aux discours anxiogènes du président de la République et de son Premier ministre nous annonçant, pour l’hiver prochain, restrictions et sobriété, Vladimir Poutine multiplie les signaux négatifs dont les justifications ne trompent personne. Entre l’arrêt pour maintenance du Nord Stream 1 et la suspension complète des livraisons de gaz au français Engie pour « impayés de gaz non reçu », le maître du Kremlin a décidé de jouer avec les nerfs des Européens. Ses menaces ponctuelles se traduiront inexorablement en arrêts prolongés, cet hiver, lors de possibles périodes de grand froid. Les sanctions ne s’avèrent finalement pas très efficaces et ne mettront pas l’économie russe à genoux, comme en rêvait Bruno Le Maire : « Tel est pris qui croyait prendre », diront les plus cyniques !

Une stratégie destinée à semer le trouble et la division entre Européens dont les dépendances gazières vis-à-vis de la Russie sont très hétérogènes. Le gaz représente, en France, 17 % de la consommation d’énergie primaire et seulement 18 % sont importés de Russie. Autrement dit, le gaz russe ne compte que pour 3 % de la consommation française d’énergie. Si la dépendance de certains pays du Sud comme l’Espagne et le Portugal est encore plus faible, pour d’autres, le pourcentage a de quoi effrayer. Les trois petits pourcents français montent à 15 % pour l’Allemagne, à 18 % pour l’Italie et à 19 % pour la République tchèque. S’il est possible de trouver des leviers acceptables pour diminuer à court terme sa consommation énergétique de 3 %, la réduire de 15 % à 20 % est impossible, sauf à plonger sa population dans la pauvreté absolue.

La réponse à la stratégie machiavélique de Poutine ne peut donc reposer que sur la solidarité européenne. En pratique, cela signifie que les Français devront se serrer la ceinture pour que les Allemands, les Italiens ou autres Tchèques puissent éviter un hiver cataclysmique. Séduisante sur le papier, cette stratégie est hautement risquée sur le plan politique et social. Cela promet un débat plus qu’animé dans l’Hémicycle entre macroniens europhiles défendant la solidarité européenne et nationalistes europhobes considérant que le citoyen français ne doit pas être la victime collatérale de stratégies énergétiques défaillantes reposant sur des décisions purement idéologiques déconnectées de tout pragmatisme.

Chroniques d'une mort annoncée

On pense, évidemment, aux résultats catastrophiques de l’Energiewende allemande qui, contrairement aux attentes, n’a pas remplacé le nucléaire par des renouvelables mais a appuyé la montée en puissance des renouvelables par le gaz naturel et le charbon. Cette stratégie suicidaire, qui s’est notamment matérialisée par la construction des deux gazoducs Nord Stream 1 et 2, a accru de façon inconsidérée la dépendance allemande au gaz russe. Dans ce jeu de dupes, certaines ONG écologistes allemandes ont joué un rôle particulièrement funeste avec un double lobbying antinucléaire et anti-gaz de schiste en partie financé par Gazprom. Un schéma quasi similaire est en train de se dérouler en Belgique. Pour des raisons purement électoralistes datant de 2002, la Belgique s’est engagée à sortir du nucléaire (50 % de sa génération électrique actuelle) à l’horizon 2025.

Dans cette guerre du gaz et de l’électricité, la France était, pour une fois, en position de force grâce au poids de sa génération électrique nucléaire. Malheureusement, au cours des derniers mois, est venue se greffer la « presque catastrophe du nucléaire français ». En moins de six mois, la moitié du parc nucléaire français a été arrêtée pour de multiples pannes et défauts résultant d’un manque flagrant de maintenance et de personnel qualifié. Chronique d’une mort annoncée selon Jean-Bernard Lévy, le patron d’EDF. Lors des journées du MEDEF, il a rappelé sans concession que la stratégie énergétique imposée par les deux précédents quinquennats reposait sur la fermeture de 14 réacteurs entre 2020 et 2035 : « Fermer les centrales est toujours le texte en vigueur. EDF n’a donc pas embauché des gens pour maintenir et construire mais des gens pour fermer. On manque, pour cette raison, d’équipes formées ; il faut trois ans pour former un soudeur ou un tuyauteur. »

Moins visibles, les choix français résultent de la même logique que les stratégies suicidaires allemandes et belges : des gages électoralistes irresponsables donnés aux écologistes. L’Europe en paye aujourd’hui le prix fort.

Quoi qu’il en soit, la France, qui a toujours été largement exportatrice d’électricité, a aujourd’hui besoin d’en importer massivement à travers la grille européenne. Sauf à ce que les réacteurs soient rapidement redémarrés, la situation déjà catastrophique aujourd’hui (10 GW importés, sur seulement 50 GW de consommation) ne pourra qu’empirer au cours des mois d’hiver (pic compris entre 80 GW et 90 GW, généralement atteint en janvier/février). Fortement dépendante de ses voisins en termes d’électricité, la France n’aura d’autre choix que de partager son gaz avec eux.

Pénuries et blackouts en vue, prix stratosphérique du gaz et de l’électricité, on comprend aisément les interventions anxiogènes d’Élisabeth Borne et d’Emmanuel Macron. En revanche, leurs explications hypocrites ont de quoi révolter : ce sont bien leurs choix énergétiques erronés et non une quelconque défense de nos valeurs démocratiques à travers le conflit ukrainien qui nous ont conduits à ce désastre. Admettre publiquement ses erreurs n’a jamais été le fort des politiques !

Philippe Charlez
Philippe Charlez
Chroniqueur à BV, ingénieur des Mines de l'École polytechnique de Mons (Belgique), docteur en physique de l'Institut de physique du globe de Paris, enseignant, expert énergies à l’institut Sapiens

Vos commentaires

51 commentaires

  1. Qu’on ferme FESSENHEIM soit: elle était en limite d’âge selon les critères de construction. Mais on aurait pu édifier sur le même site deux tranches d’EPR. Les EPR chinois de Taishan fonctionnent depuis plusieurs années mais les ecolos et les politiques français font tout pour plomber l’EPR de Flamanville et encore plus pour en construire d’autres. Rappelons que cet EPR est le fruit des améliorations dues au retour d’expérience de 60 ans sur les réacteurs Français PWR: le must en termes de sécurité nucléaire. Les CHinois l’ont compris.

  2. Jusque dans les années 80-85 le prix de revient marginal du kilowattheure d’une centrale nucléaire etait de 4 centimes de francs!

  3. Merci Monsieur Charlez de cet éclairage. On comprend mieux ainsi pourquoi, nous devrons nous aussi restreindre notre usage du gaz. Quand on sait que le rôle d’un gouvernement c’est prévoir, on ne peut que mesurer l’incompétence de nos dirigeants depuis près de 10 ans. Un certain Eric Zemmour lors d’un débat fameux face à Bruno Le-Maire avait pourtant clairement démontré l’incohérence de la politique énergétique menée par le précédent gouvernement, ce dont nombre de français étaient déjà convaincus.

  4. « stratégies énergétiques défaillantes reposant sur des décisions purement idéologiques déconnectées de tout pragmatisme. » Et surtout imposées par l’Europe (l’Allemagne, pour faire court) qui nous rappelle soudain la solidarité européenne. Lorsqu’ils nous ont obligés à fermer Fessenheim, où était la solidarité?

  5. Certes la situation actuelle résulte de la veulerie des politiques qui ont sacrifié la France sur l’autel d’une Europe dominée par les intérêts allemands. Néanmoins on ne peut pas exonérer Macron et sa clique d’amateurs, Lemaire en tête, de leur responsabilité considérable : leurs sanctions stupides contre la Russie reviennent comme un boomerang assommer les Français qui devront supporter les conséquences des pénuries à venir. Il fallait être bien stupide pour ne pas imaginer que la Russie se servirait de la dépendance européenne à son gaz comme arme de rétorsion contre le canard sans tête qu’est devenu l’Union européenne. À force de prendre des décisions consécutives aux résultats du dernier sondage, à force de gérer l’immédiat au lieu de préparer le futur, nos dirigeants nous envoient depuis des décennies, à vitesse accélérée, percuter le mur tragique du réel. Mais les français doivent n’avoir l’honnêteté, en se regardant dans un miroir, de s’avouer : nous sommes coupables d’avoir élu et réélu ces incapables.

    •  » À force de prendre des décisions consécutives aux résultats du dernier sondage, » Pas du tout. Ces décisions ont été dictées par les écolos, maîtres de Berlin et de Bruxelles, sous les ordres de Soros « conseillé » par la CIA.

  6. On ne peut que remercier les grands visionnaires qui nous ont contraints d’adhérer à cette union européenne qui a détruit nos industries en particulier nucléaire, qui ont bradé ce qui nous restait de souveraineté, nous ont couvert de ridicule avec les protestations débiles de « repentance » à l’égard d’ un état dont les ressortissants viennent sans contrôle dans notre pays où ils se comportent en vainqueurs, sans avoir eu à combattre puisqu’ils n’ont rien en face d’eux sinon des chiffes molles qui osent se prendre pour des chefs…Oui, nous aons été trahis pendant de longues années et depuis cinq ans nous sommes accablés, affligés d’un incapale à la tête de l’état. Malheur à la ville dont le prince est un enfant!

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois