En plein Covid-19, l’Afrique doit réinventer sa politique en matière d’infrastructure
Le moment est venu de se poser la question de savoir à quoi servent des politiques d’infrastructures qui n’arrivent pas à stimuler la production et à faire reculer la pauvreté ? N’est-ce pas, quelque part, mettre la charrue avant les bœufs ? Ne faudrait-il pas tester un autre modèle économique consistant à développer la production locale, créer de la valeur, donner plus de moyens fiscaux à l’État et autofinancer plus facilement les infrastructures ?
Un organisme comme la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) estime que l'Afrique perd 1 %, par an, de croissance économique par habitant en raison de son déficit d’infrastructures.
Le propre des projets d’infrastructures est qu’ils sont très capitalistiques, en général peu rentables sur le court terme et parfois exigeants en ressources concessionnelles, lesquelles deviennent rares dans les pays prêteurs en crise, surtout dans le contexte actuel de pandémie. D’où la nécessité de conduire des études sérieuses en termes d’opportunités mais aussi d’alternatives moins coûteuses en matière d’investissement dans les infrastructures.
Leurs spécificités résident aussi dans le fait qu’ils peuvent générer d’importants recrutements de main-d’œuvre à court terme mais constituent souvent des problématiques en phase d’exploitation : frais d’entretien élevés souvent peu supportables pour les budgets nationaux, contrats de BOT mal négociés, faible utilisation par les usagers, faible employabilité, etc. De ce point de vue, ce type de projets pourrait ne pas être une solution viable à l’emploi des jeunes dans un contexte où plus de dix millions de personnes grossissent, chaque année, la population active en Afrique dans un contexte de forte émigration clandestine.
Depuis longtemps, cette tendance, voire cet effet de mode infrastructurel, a mobilisé de nombreux décideurs sur le continent et englouti des centaines de millions de dollars sans pour autant permettre de booster, par exemple, pour l’écrasante majorité des pays du continent, les investissements directs étrangers (IDE), encore moins développer le secteur privé et réduire de manière drastique la pauvreté. Les besoins en infrastructures du continent sont estimés à 130–170 milliards de dollars par an, avec un déficit de financement de l’ordre de 68 à 108 milliards de dollars. Le moment n’est-il pas venu de changer d’option économique ?
Les politiques infrastructurelles peuvent constituer des orientations importantes si elles s’inscrivent dans de véritables stratégies de relance de la production nationale, de politiques de désenclavement et de promotion de la mobilité urbaine. Par exemple, les projets d’infrastructures développés dans l’érection d’autoroutes urbaines, d’unités de production de mix énergie, peuvent constituer de solides supports pour des stratégies économiques de substitution aux importations, de transformation de matières premières locales et d’exportation ; il est temps de réfléchir à des politiques d’infrastructures ciblées, calibrées en fonction des vrais besoins de l’économie. À titre d’exemple, des infrastructures financières de soutien aux PME, chaînon faible des économies africaines, sont à promouvoir pour lutter contre le taux de financement faible de l’économie.
Dans le contexte sanitaire actuel, l’option alternative du télétravail devrait être mise sur la table.
Il urge, aussi, de se départir de ces tentations de mimétisme qui amènent à réaliser des projets grandioses soi-disant modernes mais qui s’avèrent, en fin de compte, de véritables « éléphants blancs ».
A côté d’une politique d’infrastructure ciblée, l’Afrique devrait aussi investir dans la recherche et développement, le renforcement des capacités entrepreneuriales, le recensement, la protection et la mise en application des nombreuses découvertes scientifiques et techniques rangées dans ses tiroirs, et trouver des stratégies efficaces d’appui à un secteur informel dynamique et innovant. Elle devrait aussi être plus regardante dans l’efficience des coûts de réalisation des infrastructures en étant plus exigeante dans les stratégies de lutte contre la corruption qui font perdre 50 milliards de dollars par an à l’Afrique, et dans l'appréciation de la pertinence des projets publics, véritables gâchis qui obéissent souvent à des impératifs politiques.
Alors, ne faudrait-il pas tester un autre modèle économique consistant à développer la production locale, créer de la valeur, donner plus de moyens fiscaux à l’État et autofinancer plus facilement les infrastructures ?
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