Emmanuel Macron en Hongrie : Orbán est-il un faiseur de rois ?

MACRON ORBAN

Ce lundi, Emmanuel Macron achevait sa tournée des vingt-six capitales européennes par la Hongrie : à l’occasion du sommet des pays de Visegrád dont la Hongrie assure la présidence, Emmanuel Macron entendait placer cette rencontre sous le signe de la realpolitik. Finies, pour aujourd’hui du moins, les diatribes enflammées contre la lèpre populiste et autres combats, « de toutes ses forces contre l’extrême droite ». Alors que la Commission européenne est prête à enclencher une procédure de « conditionnalité » des versements du Plan de relance au respect de l’État de droit en Pologne et en Hongrie, que du haut de son palais de verre elle estime bafoué, Emmanuel Macron, fidèle à sa stratégie du « en même temps », semble renouer avec la diplomatie bilatérale. Un peu comme lors de la signature du traité du Quirinal « pour une coopération bilatérale renforcée » signé le 26 novembre dernier à Rome.

Rappelons que ces « entorses à l’État de droit » reprochées à la Pologne et à la Hongrie sont, en réalité, l’inscription de la famille naturelle comme seule reconnue dans la Constitution hongroise, la loi visant à interdire toute propagande LGBT auprès des mineurs et, donc, dans les écoles, la réforme de la Justice polonaise et la prétendue restriction de liberté de la presse. Notons que Reporters sans frontières comme le lobby de la Budapest Pride mettaient la pression sur le Président français pour aborder ces sujets, cette dernière ayant même fait paraître une tribune à ce sujet dans le magazine Têtu.

Las ! Macron le matamore, l’européiste « du camp du progrès » s’est rendu sur les terres du chef de file des nationalistes européens pour des raisons… politiques.

Certes, il a commencé sa visite hongroise en allant se recueillir sur la tombe d’une opposante à Orbán. Certes, il rencontrera aussi Péter Márki-Zay, chef de file et candidat unique de l'opposition qui espère, aux législatives d'avril 2022, vaincre Viktor Orbán : mais celui-ci n’a-t-il pas reçu Marine Le Pen en octobre et Éric Zemmour en septembre ? C’est de bonne guerre, pourrait-on dire.

Il n’empêche que cette rencontre, pour l’instant, se veut apaisée. Des esprits chagrins disent que Viktor Orbán, qui doit comme Emmanuel Macron affronter des élections décisives en avril 2022, a grand besoin de l'accolade macronienne.

Et si c’était l’inverse ? Car c’est plutôt Emmanuel Macron qui, à Budapest, déroule une véritable opération séduction à l’égard de Viktor Orbán. Lors de leur déclaration conjointe, lundi après-midi, Viktor Orbán, de bon gré, a fait siennes les paroles du Président français : « Nous sommes adversaires politiques et partenaires européens », avant d’appeler de ses vœux une coopération franco-hongroise, dans le cadre européen, pour une stratégie de défense et une politique énergétique incluant le nucléaire, conditions d’autonomie et d’indépendance stratégiques. « Je pense que nous allons avoir de très belles négociations cet après-midi, soyez le bienvenu chez nous. » En effet, comme le rapporte L’Express (dans un article du 13 décembre), « près de la moitié de l'électricité hongroise est produite par son unique centrale, Paks, où intervient le français Framatome ».

En répondant - et en tutoyant Orbán -, Emmanuel Macron survole littéralement la fameuse question idéologique de l’État de droit : « Je crois aussi à deux choses : d’abord la nécessité de respecter chacun des États membres dans le cadre d’une telle exigence et de comprendre comment ces tensions adviennent […] et de trouver par la discussion, le travail exigeant, le dialogue entre les États membres et avec les institutions, en particulier la Commission européenne mais aussi les juges européens et autres, un cheminement qui nous permette de tenir tous ensemble, fidèles à notre projet et respectueux les uns des autres. » Le minimum syndical exprimé dans le style ampoulé habituel d’Emmanuel Macron. Le Président français va même jusqu’à évoquer en ces termes la question migratoire : « J’espère trouver des points de convergence en matière de politique migratoire. Là aussi, par le passé, il y a eu des points de tension, mais ce que l’Europe a connu ces dernières semaines, et je pense notamment à nos collègues polonais, est de nature à repenser notre organisation commune, pour mieux prévenir les flux migratoires, protéger nos frontières extérieures et réussir à trouver les voies et moyens d’une coopération plus efficace entre Européens sur ce sujet. » On peut évidemment penser qu’il se paie de mots, mais Emmanuel Macron, qui veut clairement faire de la présidence française de l’Union européenne un tremplin pour l’élection présidentielle, n’a aucun intérêt à ce qu’elle soit émaillée de tensions. De plus, pour dérouler son projet des six prochains mois en Europe, il a besoin du soutien ou, éventuellement, de la neutralité de Viktor Orbán : comme le dit Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques-Delors dans L’Express du 9 décembre, « il possède un pouvoir de nuisance sur les projets qui nécessitent l'unanimité des vingt-sept ».

Enfin, comment mieux mettre les bâtons dans les roues de Valérie Pécresse, elle aussi européiste convaincue, que par cette apparence de conciliation ? Viktor Orbán, à la tête d’un pays d’Europe centrale de 9,8 millions d’habitants, est au centre du jeu européen. Chapeau !

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Marie d'Armagnac
Journaliste à BV, spécialiste de l'international, écrivain

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