Des victimes aux truands, le dévoiement des marches blanches

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Voilà deux nuits que des quartiers de Nantes sont en émeute. Véhicules et bâtiments officiels incendiés, commerces saccagés… Des jeunes cagoulés et armés ont décidé, une fois de plus, d’en découdre avec les forces de l’ordre après qu’un des leurs (Abubakar, 22 ans) a été tué lors d’un contrôle routier auquel il tentait d’échapper. « Des feux de véhicules, de poubelles et de détritus ont été allumés dans les quartiers Bellevue, Dervallières, Malakoff et au Château de Rezé », rapporte Ouest-France ce jeudi matin, étendant le chaos aux quatre coins de la ville. Onze personnes ont été interpellées, « soupçonnées d’être impliquées dans le tir d’une balle de 22 long rifle sur le casque d’un policier ».

Comme toujours, les versions divergent sur la mort du jeune homme "bien connu des services de police" : légitime défense, dit la police ; gibier tiré comme un lapin, disent les amis de la victime, tous des champions du lancer de cocktail Molotov.

Et, comme toujours - puisque c’est devenu une habitude, en pareille circonstance -, une marche blanche est organisée à la mémoire de ce garçon dont on nous dit qu’il était surnommé « le loup » et néanmoins dépeint par ses proches comme le plus gentil et le plus serviable de toute la cité… Refrain connu.

Marche blanche, donc. Ou plutôt marche grise ?

Car, je vous l’avoue, je ressens devant tout cela un malaise certain. Plus encore le sentiment d’un total dévoiement de ce qui était, au départ, un hommage rendu à l’innocence absolue : celle des petites victimes des pédophiles.

La première marche blanche a eu lieu en 1996. Elle a rassemblé plus de 400.000 personnes venues de toute la Belgique pour communier dans le souvenir des victimes de Marc Dutroux ; des enfants séquestrées durant des mois dans sa cave pour être y violées, et mortes de faim… Comme le rappelle la fiche Wikipédia sur cette horrible affaire, « la couleur blanche et le silence (pas de slogans), seules consignes données par les organisateurs, avaient été choisis comme symbole de neutralité, de dignité, d’espoir et d’innocence ».

Je ne crois pas me tromper en disant qu’on en est loin aujourd’hui.

Désormais, tout comme chaque soldat mort, sous le mandat Hollande, avait droit à sa cérémonie aux Invalides, chaque victime, fût-elle aussi coupable, a droit à sa marche blanche. Sur l’échelle de ces valeurs dévoyées, le truand mort en exercice vaut l’enfant violenté, et si demain Redoine Faïd trouvait la mort dans sa cavale, sans doute se trouverait-il aussi de belles âmes pour lui rendre les hommages. Pour peu qu’il soit abattu, on peut aujourd’hui "marcher" pour un Nordahl Lelandais comme on l’a fait pour la petite Maëlys qu’il a martyrisée.

Je ne nie pas la douleur des familles. Je sais qu’elle est sincère. Je m’offusque simplement qu’on ne fasse désormais aucune distinction dans l’échelle des "hommages", défilant sans distinction pour les victimes et leurs bourreaux si, d’aventure, ceux-là sont victimes d’un accident de parcours !

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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