Débat Darmanin-Le Pen : n’est pas Macron qui veut

MLP DARMANIN

C’est à deux orateurs ultra-préparés « médiatraînés » que les Français ont eu affaire, jeudi 11 février, sur France 2. Le contraire eût été étonnant, tant pour Marine Le Pen, qui voulait faire oublier l’échec du débat face à Emmanuel Macron en 2017, que pour Gérald Darmanin, qui voulait conforter sa position de poids lourd du gouvernement. Pari réussi pour tous les deux, mais la présidente du RN a pris le pas sur le ministre de l’Intérieur.

Une Marine Le Pen parlant quelques dizaines de secondes sans regarder son adversaire, rappelée à l’ordre par Léa Salamé : technique d’évitement classique. Un Gérald Darmanin qui récite consciencieusement toutes les leçons qu’il a mémorisées pour ce débat : efficace, bien que manquant cruellement de naturel. Les formules toutes prêtes fusent : « Nous avons une Marine Le Pen des plateaux et une Marine Le Pen des Parlements. »

Conséquence immédiate : l’affrontement de deux athlètes surentraînés, qui ont préparé et répété tous leurs coups et préparé toutes les esquives, est un peu... chiant. Pire encore : à force d’avoir préparé leurs coups, pour défendre l’un son projet de loi contre le séparatisme, l’autre sa proposition de loi contre l’islamisme, Thomas Sotto ne peut s’empêcher de les relancer en leur lançant « On a le sentiment que vous pensez la même chose ».

Mais comme dans une partie d’échecs lors de laquelle les bons joueurs sont capables de voir et prévoir plusieurs coups à l’avance, il suffit d’un changement de stratégie pour que tous les plans échafaudés s’effondrent, pour l’un comme pour l’autre. Et nos deux escrimeurs de faire tinter un peu plus fort, un peu plus vite leurs fleurets, bien que toujours mouchetés.

Pour suivre, il faut être concentré. Les téléspectateurs décrochent. Sur WhatsApp fusent « Elle est bourrée Marine ? », « Non, elle a du prendre un Lexomil », « Darmanin récite ses fiches, c’est fatigant ». « “C’est faux, c’est inexact, vous avez dit une bêtise, vous dites n’importe quoi” il n’a que ça à la bouche Darmanin mais pas d’arguments. »

La bataille sur les chiffres de l’immigration est épique. À écouter Darmanin, le nombre d’étrangers en France est passé de 6,8 %, en 1982, à 7,4 %, aujourd’hui, soit un million de plus, « loin du mythe du Grand Remplacement cher à Mme Le Pen ». Qui feinte et touche enfin, martelant en retour que sur les près de 140.000 demandeurs d’asile en 2020, dont 35.000 ont obtenu un visa, seuls quelques milliers ont été expulsés. Auxquels s’ajoutent donc les 277.000 demandes de visa, toujours en 2020...

Darmanin a beau marmonner « n’importe quoi ! » quand son adversaire annonce un total de 450.000 immigrés entrés sur le territoire français l’an dernier, « n’oubliez pas les étudiants », les jeux sont faits. Le téléspectateur, dont Léa Salamé affirme qu’il déteste les chiffres, retiendra que les deux courbes de l’immigration affichées derrière les orateurs grimpent en flèche, avec un quasi-doublement du nombre d’entrées sur le territoire en seulement deux ans.

La présidente du RN est-elle consciente qu’elle a marqué un petit point lors du débat sur l’immigration ?

Elle ajuste ses coups lors du débat (pénible) sur l’islamisme à l’école. On ne retient pas grand-chose du débat, sauf que le visage de Marine Le Pen s’éclaire, quand celui de Gérald Darmanin se durcit progressivement : « Vous avez été calme pendant une demi-heure, puis vous vous êtes radicalisée, et maintenant vous êtes carrément insultante. » Encore une punchline toute faite, qui tombe à plat. Touché, le ministre ? Fuse dans la foulée « De nous deux, ce n’est pas moi qui suis né dans un château ». Ce coup bas aussi échoue lamentablement, autant qu’il fait de la peine. Marine Le Pen termine de désarçonner son adversaire à coups de grands sourires.

Dans la dernière ligne droite, sentant l’écurie, Darmanin accélère encore le rythme de ses phrases, bafouille, son visage se ferme un peu plus, il s’énerve. Judas (dixit Marine Le Pen, à l’Assemblée) a sans doute compté les touches, il est désormais trop tard pour rattraper les points perdus. Nathalie Saint-Cricq l’énerve un peu plus encore quand elle déclare à Marine Le Pen « Vous êtes restée étonnamment calme ce soir, vous y gagnez en présidentialisation, en sérieux, en respectabilité. » Le gong résonne.

Que retenir de ce débat ?

Marine Le Pen est un diesel. Il lui faut 20 minutes de temps de chauffe, au bas mot.

La présidente du RN confirme sa nouvelle stratégie politique de lissage de son discours, gardant son calme malgré les nombreuses piques (médiocres) de son adversaire. Quelques touches ont porté. Sur l’immigration, le doute sur la véracité et la transparence des chiffres lui profite largement. Elle l’emporte dans le deuxième round, aux points.

Gérald Darmanin est un roquet. Aboyant beaucoup, montrant les dents sans parvenir à mordre.

Un revisionnage soigneux permettrait de décompter les dizaines de « vous mentez » et variantes grommelées à l’adresse de son adversaire. Méthode de déstabilisation basique, enseignée par certains médiatraîneurs en manque d’inspiration, mais qui échoue ici lamentablement à faire sortir Marine Le Pen de ses gonds.

En réalité, le débat était déséquilibré. Les adversaires ne sont pas de même envergure, comme ils en sont convenus tous les deux dans un éclat de rire commun et probablement également sincère en toute fin de débat. Il n’augure en rien de l’avenir de Gérald Darmanin (« Vous sortez renforcé dans votre position de poids lourd », lui concède Nathalie Saint-Cricq). Il confirme que Marine Le Pen a diamétralement changé de stratégie et de dialectique, quitte à paraître molle, quand Darmanin a voulu jouer au dur.

 

Jean-Baptiste Giraud
Jean-Baptiste Giraud
Journaliste, directeur de la rédaction d’Economie Matin et Politique Matin. Il médiatraine chefs d’entreprises et personnalités politiques depuis plus de vingt ans.

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