Covid et autonomie de la Guadeloupe : quand l’Élysée joue avec le feu…

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Il y a au moins deux manières d’interpréter la sortie de Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer, proposant, face à la fronde antillaise, d’ouvrir un débat sur « l’autonomie de la Guadeloupe ».

La première est d’évoquer la politique, menée depuis des décennies, consistant à larguer nos confettis d’empire grâce auxquels la France demeure le deuxième espace maritime au monde - ce qui n’est tout de même pas rien.

La seconde participe d’un certain cynisme élyséen, tel qu’à demi-révélé par le site de France Info, qui cite un conseiller ministériel : « On ne peut pas refuser l’obligation vaccinale tout en voulant rester un département. […] Si on veut s’affranchir de la loi de la République, alors, il faut aller jusqu’au bout de sa logique et que la Guadeloupe ne soit plus un département français. » Dit ainsi, on comprend déjà mieux la sortie du ministre en question, s’apparentant à une sorte de chantage, même si ouvrant là une sorte de boîte de Pandore.

En effet, et ce, de matière plus qu’attendue, les autonomiste corses en profitent pour faire entendre leur voix. Cité par Le Figaro, Jean-Félix Acquaviva, député de Haute-Corse, affirme ainsi : « Le gouvernement est donc prêt à parler de l’autonomie de la Guadeloupe comme une des solutions structurelles à apporter à cette crise. Il a fallu des violences, des nuits d’émeutes pour arriver à cette évidence. Cela ne manque pas d’interpeller. » Certes, mais comparaison n’est pas forcément raison ; quoique…

Car ce n’est pas insulter la République que de rappeler que la France du lointain entretient, de longue date, des rapports conflictuels avec la capitale. Corses et Antillais étant, de plus, suspects de professer une susceptibilité à fleur de peau et des rapports plus qu’ambigus quant au fait de se lever tôt pour aller plus tard travailler. Les ancêtres des uns ont été achetés à Gênes en 1768 et ceux des autres aux négriers européens, mais aussi arabo-africains. Soit de quoi susciter une sorte de malaise identitaire, toujours vivace dans les Caraïbes françaises.

À cela, plusieurs raisons. Le coût de la vie, pour commencer. Bien sûr, un Antillais peut agréablement vivre en consommant local : poisson, « légumes pays » et rhum sont quasiment vendus à prix coûtant. Mais quid d’autres produits de première nécessité ? Papier toilette et lait ? Fromage et shampooing ? Couches-culottes et plaquettes de beurre ? Soit des produits qui sont ici l’ordinaire alors qu’ils relèvent, là-bas, de l’exceptionnel ? Notons que l’île de Beauté, hormis le prix des cigarettes, là-bas vendues à vil prix, fait face aux mêmes difficultés.

Puis, la traditionnelle méfiance vis-à-vis des diktats de la métropole, qui vaut également pour la province quant à ceux de Paris. Et surtout le scandale du chlordécone, pesticide employé aux Antilles jusque dans les années 1990 alors qu’il était interdit dans l’Hexagone. D’où, peut-être, le très faible taux local de vaccination contre le Covid (16 %, contre 60 % en métropole, les personnels soignants étant manifestement les plus rétifs) et cette méfiance avivée par les polémiques suscitées par Didier Raoult, que décrit fort bien Stéphanie Mulot, anthropologue et sociologue à l’université de Toulouse et au Laboratoire caribéen de Sciences sociales : « La Guadeloupe et la Martinique ont été parmi les premiers départements à porter plainte contre les agences régionales de santé pour refus de donner des traitements à l’hydroxychloroquine à la population. » Bref, il serait inconvenant de demander plus aux Antillais qu’aux Marseillais.

Dernier détail, mais qui n’est pas des moindres : l’attachement de ces îles aux médecines traditionnelles, de longue date concoctées à base de plantes. Pour les oublieux, rappelons qu'en Guadeloupe, du sanitaire au politique, ces compatriotes ont souvent été rétifs aux injonctions parisiennes, ayant voté à plus de 46 % pour le Rassemblement national aux élections européennes de 2019, se sentant sans doute déjà abandonnés par la métropole.

Il n’est pas sûr que les déclarations inconsidérées de Sébastien Lecornu puissent éteindre l’incendie qui couve.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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