Corée du Nord, guerre nucléaire et médias
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La Corée du Nord occupe une place étrange dans le traitement médiatique, notamment français. Concrètement, voilà un pays dont on n’entend jamais parler, dont on ne sait rien sinon qu’il est une dictature communiste, elle-même dirigée d’une main de fer par un héritier aussi fou que ses prédécesseurs. À l’heure où quelques clics sur Internet permettent de se renseigner, la majorité des gens continuent d’attendre qu’un sujet soit traité dans les médias traditionnels pour estimer qu’il mérite qu’on s’y intéresse. Et le fait est que les médias en question opèrent, à l’égard de ce pays lointain, un silence de mort.
Parfois, à échéance plus ou moins régulière, le nom de ce pays apparaît sur nos écrans. Ces évocations sont presque systématiquement liées à la question du nucléaire militaire, plus exactement encore à la question de l’utilisation potentielle, par les dirigeants nord-coréens, de cet outil effrayant. Ce mardi 11 avril, plusieurs grands médias resservent la soupe anxiogène : "La Corée du Nord prête à la guerre avec les États-Unis", titre Le Figaro.
Resituons le contexte : la Corée du Nord, effectivement dotée d’un arsenal nucléaire, a déjà réalisé cinq essais nucléaires, au nez et à la barbe de la communauté internationale qui voit d’un mauvais œil ces activités, qu’elle estime de nature à compromettre la paix dans le monde. L’administration américaine, expliquant sa crainte de voir se profiler un sixième essai et agacée par la léthargie politique et diplomatique des acteurs régionaux, notamment la Chine, a fait savoir qu’elle était prête à "résoudre le problème sans eux", puis d’avancer une partie de son armada militaire dans les eaux péninsulaires de Corée. Ce sont notamment ces intentions et des mouvements américains qui ont fait dire au régime nord-coréen ce que Le Figaro a titré en termes explicites.
Au-delà de la situation géopolitique, c’est son traitement par les médias français que nous allons évoquer. Comparé au cas syrien qui inonde les canaux, à des degrés d’intensité variables mais qui les occupe néanmoins à longueur de temps, le cas nord-coréen fait pâle figure. Il y est pourtant question de menaces de guerre nucléaire, ce qui, sur l’échelle de la gravité, ne place pas ce dossier ailleurs que dans le peloton de tête des risques majeurs. D’autant que ce pays, aussi isolé soit-il, est imbriqué dans des logiques géostratégiques et conflictuelles avec la première puissance mondiale, ce qui en fait un pays capable un jour de peser lourdement sur l’état du monde.
Pourtant, il semble que nos journalistes, d’ordinaire prompts à tout expliquer aux gueux, aient décidé qu’il n’y avait rien à dire sur ce sujet en dehors des phases de tension où les mots « guerre » et « bombes nucléaires » permettent de faire quelques articles aguicheurs.
Alors, soit les médias estiment que ce dossier est trop burlesque pour mériter un traitement conséquent ; mais, dans ce cas, pourquoi, à chaque pic de crise, faire des titres aussi angoissants et effrayants ? Soit les médias, en faisant ces titres, ont conscience qu’il se joue là-bas une partie très grave ; mais, dans ce cas, pourquoi ne pas traiter, à la mesure qui convient à cette gravité, ce dossier brûlant, notamment en expliquant les tenants et les aboutissants de cette crise ? Pour nous permettre, au moins, de ne pas être totalement surpris si, un beau jour, nous apprenons que les deux pays cités plus haut se sont déclaré la guerre.
La vérité est que les journalistes ont déserté leur rôle, qu’ils préfèrent créer et nourrir des polémiques stériles ou commenter chacun les tweets des autres. Albert Londres n’est plus, nous devons nous contenter de Patrick Cohen.
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