Contre la culture de la délation, même Paris Match s’inquiète !

montrer du doigt

Certes, Gilles Martin-Chauffier, l’un des patrons de Paris Match, n’est pas Jean Cau, l’un de ses plus illustres devanciers. Sa plume est moins acérée et il a sûrement dû avaler plus de couleuvres politiquement correctes que l’ami Cau. Il est vrai que l’époque n’est plus aux mêmes élégances humanistes et que nous avons changé de siècle. Il n’empêche que notre homme commence à la trouver saumâtre, s’insurgeant dans une récente tribune sur ce thème : « La délation est-elle une nouvelle mode ? »

« Franchement, ça fait peur. Entre l’islamo-gauchisme et les tricoteuses bobos, les braves catholico-centristes dans mon genre tremblent de toutes leurs feuilles. On a beaucoup trop de racines pour que nos fruits ne soient pas vénéneux » : voilà qui donne le ton. Mieux : « Français, blanc et grand-père, je ne vais sûrement pas l’emporter au paradis. Big Sister me tient à l’œil. Dès qu’elle me voit, elle sort son panneau : attention, danger ! »

Il est vrai que le vocabulaire policier s’est de longue date substitué à celui des journalistes. Aujourd’hui, il convient à tout prix de « dénoncer ». Dénoncer tout, n’importe quoi et surtout n’importe qui. Autrefois, les mêmes journalistes tentaient de comprendre et d’expliquer tout en n’ignorant pas que, dans le moindre événement, se nichent plus de zones de gris que de noir et de blanc. Mais la période, on le sait, n’est guère à la nuance ; demandez à Alain Finkielkraut à propos de l’affaire Olivier Duhamel.

Très logiquement, cette culture de la délation induit chez ses victimes une autre culture encore plus nauséabonde, celle consistant à en permanence s’excuser de vivre. On notera que l’exemple vient de haut, comme le remarque Franz-Olivier Giesbert dans Le Point de ce 11 mars : « Le problème de Macron, c’est le peuple mais aussi le régalien. Sans doute a-t-il mal aux rotules si l’on compte tout le temps qu’il a passé à genoux, pendant son quinquennat, pour se faire pardonner par l’Algérie, avec le succès que l’on sait, les “crimes contre l’humanité” commis par la France. »

Le sujet étant décidément à la mode, c’est un autre journal, Mad Movies celui-là, spécialisé dans le cinéma fantastique, qui donne à son tour, dans son édition de mars, un éclairage des plus intéressants sur cette mode du « woke »* nous venant, comme d’habitude, des USA. C’est en effet outre-Atlantique que des films hautement subversifs et à forte teneur raciste, tels Dumbo ou Les Aristochats, se trouvent désormais réservés à un public averti après avoir été dénoncés par le nouveau clergé antiraciste.

L’occasion de donner la parole à Joseph Kahn, cinéaste américain filmant en marge du système hollywoodien, qui nous en dit plus sur les vilaines arrière-pensées se dissimulant derrière tant de vertu affichée : « Ces conglomérats du divertissement ne sont pas là pour la liberté d’expression, mais pour faire de l’argent. Si ça paie d’être woke, ils vont être woke. Quand ça ne paiera plus de l’être, ils vont retourner leur veste en quelques secondes. Ça n’a rien à voir avec la politique et tout à voir avec le portefeuille des actionnaires. C’est comme ça que l’Amérique fonctionne. »

D’où, peut-être, le cri d’alarme de Gilles Martin-Chauffier. Car depuis que Paris Match s’essaye à son tour au woke, les unes consacrées à Marc-Olivier Fogiel et son mari, Muriel Robin et les violences faites aux femmes ont été les pires ventes de cet hebdomadaire connu pour le poids de ses mots et le choc de ses photos, mais qui commence à perdre un peu trop d’argent en devenant celui des corbeaux.

L’argent est mauvais maître mais bon serviteur, assure un proverbe chinois. En l’occurrence, il pourrait se montrer un excellent conseiller.

 

* C’est-à-dire « personne éveillée » aux injustices de ce vaste monde. Exemple : il pleut moins au Mali qu’en Normandie et Queen a vendu plus de disques que Christine and the Queens.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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