Cinq ans après, comment être Charlie ?

je suis charlie

Tout d’abord, respect pour les morts. Ce, d’autant plus qu’au rang de ces derniers - douze en tout, assassinés par un commando islamiste, le 7 janvier 2015 -, les meilleurs de cet hebdomadaire s’en sont allés.

Georges Wolinski était un mec sympa et ouvert d’esprit : ce n’était pas un antifa de l’espèce obtuse. Cabu fut salué comme un type adorable par ses confrères Chard, de Présent, et Pinatel, ancien de Minute et de National Hebdo. Quant à Bernard Maris, l’économiste maison, il était en train de tourner casaque, tel qu’en témoigne son ouvrage publié à titre posthume : Souriez, vous êtes Français ! à l’occasion duquel il clamait, à rebours de ses propos d’avant, son amour de notre terroir et de ses clochers.

Mais aujourd’hui ? Aujourd’hui, le chien n’en finit plus de tourner en rond à force de se mordre la queue. Car le Charlie Hebdo qu’on célèbre désormais est loin de celui des origines ; soit un véritable journal libertaire, capable d’audaces inimaginables en ces temps d’ordre moral. La preuve ? Naguère, ma défunte amie Paule y tenait une chronique d’avant-garde en matière d’écologie, « L’Avis des animaux », qu’elle publiait en même temps dans le Minute plus haut cité. À l’époque, Gébé, transfuge de Charlie parti à L’Idiot international, dirigé avec la bonne humeur foutraque d’un autre esprit libre, Jean-Edern Hallier, buvait le coup avec ses confrères de… Minute. Je le sais. J’y étais.

Puis, mais peut-être était-ce là son « péché originel », une fois racheté par Philippe Val, Charlie Hebdo devint l’ombre de sa caricature, traquant ceux qui pensaient mal ou à côté des clous, avant de se convertir au sarkozysme de combat. Quelle ironie… Résultat ? Une pétition pour mettre au chômage notre confrère Fabrice Le Quintrec, revuiste de presse à France Inter, coupable d’avoir cité Présent en son exercice dominical. Renvoi de Siné pour « antisémitisme » présumé. Célébration mécanique d’un Pierre Desproges (à l’époque, « on pouvait tout dire », pour reprendre l’expression consacrée) pour participer à la chasse d’un autre humoriste - Dieudonné, pour ne pas le nommer - afin qu’il ne dise plus rien.

Pareillement, ce journal fut plus qu’atone quant à la privation d’expression d’autres empêcheurs de polémiquer en rond. La liste est longue : Robert Ménard, Sylviane Agacinski, Jean-Marie Le Pen, Alain Finkielkraut, Élisabeth Badinter, Éric Zemmour, et encore doit-on en oublier.

Et c’est ainsi qu’avec une naïveté touchante, Richard Malka, l’avocat maison, s’alarme maintenant en ces termes, dans les colonnes de Charlie, édition spéciale de ce mardi 7 janvier : « Instauration d’un nouveau tribunal des bonnes mœurs avec le CSA, auquel on demande toujours plus d’interdictions et de condamnations lapidaires ; films ou livres expurgés pour tenir compte jusqu’à l’absurde de la susceptibilité épidermique de tel ou tel groupe. » Mieux : « Aujourd’hui, Voltaire ne serait plus embastillé et la justice le protégerait. Peut-être même que l’État lui dépêcherait des officiers de sécurité, mais la nouvelle bourgeoisie néo-vertueuse demanderait toujours sa peau, au nom de sa dictature victimaire. » On ne saurait mieux dire.

Côté Libération, journal à l’origine maoïste et de moins en moins libérateur, les jérémiades de son patron, Laurent Joffrin : « Ainsi, on doit ménager l’islam, le judaïsme – et donc les autres religions –, protéger avec des pudeurs de gazelle les minorités discriminées, proscrire moqueries et satires qui pourraient être prises de travers par telle ou telle catégorie, dont la liste ne cesse de s’allonger. »

Une dernière couche de mauvais esprit ? Ces quelques mots de Riss, actuel patron de l’hebdomadaire en question : « En réalité, cette époque n’a jamais été aussi exaltante. Tous ces petits connards et toutes ces petites connasses qui pérorent à longueur de journée de pétitions débiles, de proclamations sentencieuses, et qui se croient les rois du monde, derrière le clavier de leur smartphone, nous donnent une formidable occasion de les caricaturer, de les ridiculiser, de les combattre. »

Fort bien, cher Riss. Mais que faisons-nous, ici, à Boulevard Voltaire, si ce n’est d’avoir, depuis au moins dix ans, anticipé vos audaces à venir ?

Qu’il nous soit donc permis de ne pas pleurer plus que ça sur le lait imprudemment versé par l’arroseur arrosé.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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