Le verdict est tombé samedi : la Palme d’or cannoise de l’année 2021 est décernée à Titane, le dernier film de Julia Ducournau.

Lors de son discours de remerciement – que la réalisatrice, comme par réflexe naturel, a débuté en anglais devant un parterre de cultureux mondialisés (ses pairs) – a été évoqué l’intérêt de « faire repousser les murs de la normativité qui nous enferment et qui nous séparent […] ce besoin avide et viscéral qu'on a d'un monde plus inclusif et plus fluide ». Un discours qui aurait sans doute fait tiquer, de son vivant, le philosophe Zygmunt Bauman qui, à travers son concept de « société liquide », déplorait la dissolution du sens, des liens, des relations et des identités dans la société postmoderne… Jean-Claude Michéa et Dany-Robert Dufour, de leur côté, n’auraient pas manqué de pointer ici l’essence même du paradigme libéral, sa nécessité d’abolir toutes les normes pour faire du citoyen un parfait producteur-consommateur. Délesté de toute attache territoriale, historique, culturelle, familiale, sexuelle et morale, l’individu n’a plus de compte à rendre qu’à lui-même et peut donc s’abandonner à ses instincts primaires afin de combler un vide intérieur toujours plus grand…

Le jury et toute la salle, bien entendu, ont applaudi.

Le film, en soi, est du même bois que le discours tenu par la cinéaste, il cochait toutes les cases du politiquement correct pour être primé à Cannes : réalisé par une femme – et l’on sait combien Thierry Frémaux est sensible à cet « argument » –, il nous raconte l’histoire d’Alexia, une jeune femme en conflit avec son père (forcément) qui a la fâcheuse manie de tuer les gens qui l’approchent d’un peu trop près. Cette tueuse en série compulsive et hyper masculine, activement recherchée par la police, décide de se mettre au vert en passant pour le fils disparu d’un pompier dépressif incarné par Vincent Lindon. Soit la rencontre de deux solitudes qui, à travers leur relation naissante, vont pouvoir se réinventer selon leur bon vouloir, quitte à jouer la carte de la transidentité et faire table rase du passé… Alexia se travestit en homme et Vincent peut enfin endosser le rôle du père qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Le tout pour déboucher sur une réécriture postmoderne de la figure mariale où l’antihéroïne, enfantée par la machine – dieu des temps actuels –, accouche d’un bébé hybride, mi-humain mi-diesel, Christ Sauveur du futur pour une civilisation sur le déclin, et rêve non avoué des partisans du transhumanisme qui espèrent, tel le messie, l’avènement d’un homme nouveau. Comprendre par là qu’il faut assumer et cultiver sa propre marginalité, sa « fluidité identitaire », et élever les générations futures dans cet esprit… Funeste programme.

On s’étonnera, au passage, de la conception qu’une fille de dermatologue et de gynécologue se fait des marges et des laissés-pour-compte de la société, mais passons.

« Transidentitaire » jusque dans sa forme, le récit emprunte à la science-fiction mais aussi au policier et à l’épouvante, au point qu’il en devient difficile de définir le film. On pense, par moments, aux dernières bandes dessinées d’Enki Bilal ou au cinéma de Cronenberg, mais en définitive, la catégorisation s’avère impossible, vaine – c’est même l’un des discours tenus par la cinéaste…

Titane, surtout, se complaît abondamment dans la sensation – là où le propos général nécessiterait, justement, une approche raisonnée – ainsi que dans l’image choc du trash, du gore et du clash, avec tentatives improvisées d’avortement à l’aiguille et meurtres sauvages pour satisfaire aux pulsions primaires du public bourgeois des métropoles, renvoyant le tout à une esthétique tapageuse et clippesque à la Gaspar Noé. On sent bien la jeune réalisatrice qui, par complexe féminin, tient à montrer qu’elle en a et en fait des caisses pour gagner l’approbation des milieux branchouilles et « indé », typiquement masculins…

La passion et le savoir-faire, hélas, ne manquaient pas.

 

 

1 étoile sur 5

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19 juillet 2021 à 10:50

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