Cinéma : Sweat, le vide intérieur des idoles contemporaines
On s’interroge parfois sur le succès et la légitimité de ceux que notre époque érige en modèles. Autrefois, le star-system hollywoodien était au cœur de ces questionnements. Au début des années 2000, les vedettes de la télé-réalité ont pris le relais, vite rejointes (remplacées ?) par une nouvelle figure anthropologique : le youtubeur/influenceur à tendance cupide et narcissique, amassant l’argent à mesure de ses dévoilements face caméra devant des centaines de milliers d’internautes. Si beaucoup ont ainsi essayé de monter leur business et d’accéder à la célébrité, peu, en vérité, y sont parvenus. Le succès étant évidemment relatif au degré de compétence que l’influenceur prétend offrir à son public, qu’il s’agisse du domaine de la mode, des cosmétiques, de la séduction, de la sexologie, de la rente immobilière, des jeux vidéo ou même de la politique.
Le dernier film en date du réalisateur suédois Magnus von Horn, Sweat, croque avec une certaine compassion ces nouvelles icones de la modernité et tente une plongée dans leur psyché ; elles qui, précisément, ont choisi de sacrifier une part de leur vie intérieure sur l’autel des réseaux sociaux, de YouTube, de Twitter et d’Instagram.
Incarnée à l’écran par Magdalena Kolesnik, Sylwia, Polonaise, fait de l’argent en tant que coach sportif sur Internet. Son mode de vie consiste à alterner les vidéos d’entraînement (fitness, crossfit), les confessions intimes, les passages télé et la promotion filmée de ses sponsors qui lui envoient chaque jour de nouveaux produits à tester auprès de ses 600.000 « followers ».
« Acceptez-vous et donnez ce que vous avez », lâche régulièrement Sylwia à ces femmes complexées qui envient sa forme olympique et suivent assidûment, sur le Net, ses exercices physiques. Ainsi se combinent l’obsession hygiéniste, le culte de l’authenticité, de l’énergie, de la performance et du dépassement de soi qui caractérisent l’Homo narcissus moderne, individu en quête de toute-puissance et de reconnaissance que produit par millions la société libérale.
Cent pour cent connectée, 24 heures sur 24, droguée à sa propre image, qu’elle met en scène machinalement, photographie sous tous les angles, commente et contemple inlassablement, Sylwia comprend confusément la vacuité de son existence, pleurniche sur le désert de sa vie sentimentale et envisage de plus en plus de se retirer des réseaux sociaux. Lesquels n’ont qu’un amour artificiel à lui apporter, celui de centaines de milliers d’anonymes isolés derrières leurs écrans. Le seul qui, peut-être, serait à même de la comprendre est ce harceleur solitaire posté sur son parking, prompt à se masturber lorsqu’elle approche de son véhicule. Un être pathétique, produit de son époque qui, comme Sylwia, avance sans filtre et dévoile ce qu’il a de plus intime.
Lorsque des journalistes de la télé l’interrogent sur son manque de pudeur, la jeune femme ne comprend pas, se demande de bonne foi, en larmes, ce qu’il y a de mal à se montrer « authentique », son époque lui ayant appris à extérioriser le moindre sentiment sans se soucier du reste – culte de la spontanéité oblige. Nombrilisme, superficialité et misère intellectuelle apparaissent donc ici comme l’inévitable contrepartie à l’efficience et à la performance qu’exigent de chacun nos sociétés du progrès.
Un film assez juste, bien qu’il enfonce des portes ouvertes.
3 étoiles sur 5
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Un commentaire
Cela me rapelle deux personnes seules a un enterrement: l’un se tourne sur l’autre et lui dit: Il avait plus de deux mille amis sur FACEBOOK.