« Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va. »

Par cette phrase laconique qui fait office, un peu partout sur Internet, de synopsis pour Serre-moi fort, dernier film en date du comédien-réalisateur Mathieu Amalric, le spectateur s’attend à un énième mélodrame parisien et petit-bourgeois formaté selon l’esprit de la Nouvelle Vague. Une appréhension que semble largement confirmer le titre du film, un poil gnangnan.

Pour autant, l’erreur serait de sous-estimer Mathieu Amalric qui est, sans doute, l’un des comédiens français les plus finauds de sa génération. Rappelons, d’ailleurs que celui-ci avait réalisé par le passé quelques films particulièrement méritants : Tournée, La Chambre bleue ou encore Barbara.

Avec Serre-moi fort, Amalric adapte une pièce jamais montée de Claudine Galea, Je reviens de loin. Une entreprise plutôt risquée dans la mesure où le récit ne brille pas tant par la richesse de ses péripéties que par la primauté accordée à l’errance mémorielle, nostalgique et mélancolique de son personnage principal.

Un jour, Clarisse prend ses affaires et, sans un mot, quitte son mari et ses enfants qui dorment encore. Nous ignorons tout de ses motivations, le mystère est complet, d’autant qu’au fil de son voyage, la jeune femme, paradoxalement, se berce des souvenirs plaisants vécus au sein de cette même famille.

Constamment sollicité, en éveil, le spectateur comprend rapidement que cette attitude, a priori contradictoire, de Clarisse, appuyée par une narration éclatée entre passé, présent, rêverie et fantasme, ne fait que traduire le désordre intérieur d’un personnage qui ne parvient pas à lâcher prise, reste coincé dans un passé sublimé par le tragique, tourne en boucle sur son mal-être, s’inocule son propre poison et succombe, peu à peu, à la mélancolie jusqu’à approcher dangereusement la lisière de la folie.

Au-delà du casse-tête narratif – stimulant, intellectuellement –, le cinéaste nous propose avec son film une magnifique errance poétique et contemplative à l’ambiance feutrée dans les tréfonds de la pensée négative et dépressive. Les intégristes de la gaieté, du bien-être, de la rigolade et de l’optimisme à tout crin, de toute évidence, traverseront cette œuvre désolée sans y voir le moindre intérêt ni la moindre beauté, et s’ennuieront ferme. Les autres, les mélancoliques, à différents degrés, se sentiront plus concernés. Le travail sur les ambiances, le choix des comédiens (Vicky Krieps, à fleur de peau) et le sens du cadre dont fait preuve Mathieu Amalric témoignent manifestement d’une acuité psychologique peu commune chez un artiste.

Loin de livrer un film hermétique, le cinéaste, à défaut de ménager son personnage principal, a l’élégance de tenir la main du spectateur d’un bout à l’autre du récit ; tant et si bien que les questions que se pose ce dernier finissent par trouver des réponses concrètes et convaincantes. Un parti pris honnête et appréciable.

 

4 étoiles sur 5

 

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17 septembre 2021 à 12:00

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