Cinéma : L’Adieu, de Lulu Wang, un bel éloge de la piété filiale

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On a fait beaucoup de bruit récemment autour du film de Diao Yinan, Le Lac aux oies sauvages.
Doté d’une mise en scène millimétrée, ce polar âpre et nocturne, nourri d’éclairages aux néons, ne brillait pourtant pas outre mesure par l’originalité de ses thématiques ou par l’écriture de personnages un peu trop convenus. À l’inverse exact, le dernier long-métrage de la cinéaste sino-américaine Lulu Wang, L’Adieu, sacrifie toute ambition esthétique – et c’en est regrettable – à la force d’un propos qui puise dans la culture chinoise, et plus précisément dans l’héritage confucéen.

Le film nous raconte le désarroi d’une famille de la province de Jilin lorsqu’elle apprend le décès dans les trois mois à venir de sa doyenne, Nai-Nai, atteinte d’un cancer du poumon en phase terminale. Un bilan que tous s’accordent à lui cacher malgré les scrupules de Billi, sa petite-fille.
Toutes affaires cessantes, les membres de cette famille chinoise de la diaspora, dispersés entre les États-Unis et le Japon, rentrent en vitesse au pays afin de profiter une dernière fois de leur parente à l’occasion d’un mariage.
Alors que le culte de la transparence phagocyte peu à peu toutes les strates de la société moderne – de la sphère intime et familiale jusqu’au monde du travail, en passant par le gouvernement des Etats –, le film de Lulu Wang choisit de prendre un magnifique contre-pied.

Loin de célébrer le « parler-cash », ou le « toute vérité doit être dite » au nom de la lutte contre « les hypocrisies », L’Adieu fait avec finesse et humour l’éloge du mensonge pieux, celui qui par omission permettra peut-être à Nai-Nai de vivre sereinement ses dernières heures. « Nous endossons pour elle ce fardeau », explique l’oncle Haibin à Billi, l’héroïne incrédule élevée à New-York selon les critères de transparence et d’honnêteté en vigueur en Occident.
Et quoi de plus normal que cette sollicitude envers la vieille femme dans le pays de Confucius où la famille occupe une place centrale et où l’État s’inscrit dans le prolongement direct de celle-ci. « La piété filiale, nous dit le Xiaojing (Le Classique de la piété filiale), commence par le service aux parents, s’étend au service du souverain, et se termine dans l’établissement de sa personne ». D’où le patriotisme affiché de l’oncle Haibin lors de la séquence du repas de mariage.

Le silence de la famille sur l’état de santé réel de Nai-Nai, nous dit-on par ailleurs, relève grandement des us et coutumes, de ce qui se fait ordinairement en pareilles circonstance dans la société chinoise vis-à-vis des personnes âgées. Et même s’il est parfois difficile de mentir à ceux que l’on aime, chacun doit s’y plier pour le bien-être de la vieille femme, ce que finit par comprendre l’héroïne. « Vaincre son moi pour se replacer dans le sens des rites [ou des usages], c’est là l’humanité véritable », nous enseigne Confucius dans ses Entretiens. Deux mille cinq cents ans après sa mort, la Chine n’a pas oublié les préceptes du maître, ce film en est la parfaite démonstration. On lui pardonnera donc sans trop d’aigreur ses choix musicaux déplorables et ses cadrages peu inventifs.

Pour finir, on ne saurait trop conseiller à la droite française, pour son renouvellement intellectuel, de se pencher un peu sur les textes clés du confucianisme, le « système conservateur le plus accompli », selon John King Fairbank dans son Histoire de la Chine. Confucius et son lointain héritier Xun Zi ont tant à nous apporter.

3,5 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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