Cinéma : La Ruse, récit d’une mystification qui permit le débarquement allié en Sicile

la ruse

Nous sommes en 1943 ; les Britanniques réfléchissent à un plan pour débarrasser l’Europe occidentale des forces de l’Axe. L’idéal, selon l’état-major, serait de prendre pied dans la Méditerranée, de passer par la Sicile, de remonter la botte italienne afin de neutraliser Mussolini et, peut-être à terme, de libérer la France. Seule ombre au tableau : cette stratégie est par trop évidente, les Allemands l’ont sans doute déjà envisagée, leurs troupes s’amassant peu à peu dans la région. Si les Alliés devaient débarquer en Sicile, de lourdes pertes seraient, de toute évidence, à prévoir.

C’est alors que vient une idée aussi géniale qu’alambiquée à deux officiers du renseignement britannique. Le lieutenant Commander Ewen Montagu (Colin Firth) et le flight lieutenant Charles Cholmondeley (Matthew MacFadyen) imaginent une opération visant à faire croire aux Allemands que le débarquement aura lieu non pas en Sicile mais en Grèce, afin que ceux-là redirigent plus à l’est leur effort de guerre. Pour ce faire, les deux hommes se procurent le cadavre d’un sans-abri gallois retrouvé mort à Londres, l’affublent d’un uniforme et d’une fausse identité, celle du major William Martin des Royal Marines, lui créent une existence administrative, lui inventent des états de service, placent dans ses affaires la lettre fictive d’une fiancée éplorée ainsi qu’une serviette contenant des « documents confidentiels ». Lesquels font état d’un projet britannique de débarquement en Grèce… Le « soldat » sera largué en mer à proximité des côtes espagnoles où les autorités locales le repêcheront. Plutôt favorables à Hitler, en dépit de la neutralité affichée par Franco dans le conflit mondial, celles-ci ne tarderont pas à communiquer aux Allemands le fruit de leurs trouvailles…

Tiré de l’ouvrage Opération Mincemeat, de Ben MacIntyre, le nouveau film de John Madden, La Ruse, porte pour la seconde fois à l’écran, après L’homme qui n’a jamais existé, de Ronald Neame (1956), cet épisode fameux de la Seconde Guerre qui permit aux Alliés de débarquer en Sicile sans trop subir de pertes humaines. Véritable coup de maître de la guerre d’information, cette opération chair à pâté, à la fois invraisemblable dans son énoncé et hasardeuse quant à son issue, dut avant tout sa réussite à l’inventivité, à la finesse d’esprit et au culot des services de renseignement britannique. Le scénario du film bénéficie donc d’emblée d’une matière solide pour captiver le spectateur. Les séquences où Montagu et son équipe, dont un certain Ian Fleming (!), vont jusqu’à peaufiner le moindre détail de la vie intime du major William Martin valent à elles seules le coup d’œil.

Malgré une mise en scène généralement trop académique, le réalisateur parvient à nous ménager, dans la dernière partie du récit, un suspense haletant. Hélas, il tend à tomber dans un écueil bien connu des films d’espionnage : l’explication trop rapide ; si bien qu’il est parfois compliqué de s’y retrouver.

Par ailleurs, on se serait volontiers passé des artifices de la voix off, du triangle amoureux et de la rivalité (convenue) qui oppose Montagu à Cholmondeley. Cette invention du scénario pour souligner les difficultés internes à l’équipe du MI5 et l’incertitude de leur projet n’était pourtant pas nécessaire, le manque de foi de leur supérieur hiérarchique suffisait amplement à illustrer la chose.

On salue, enfin, l’hommage émouvant, dans la dernière séquence du film, à Glyndwr Michael, triste inconnu qui, sous le nom de William Martin, sauva sans le savoir des milliers de vies.

3 étoiles sur 5

 

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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