Cinéma : Jeanne, de Bruno Dumont

Cinéma : Jeanne, de Bruno Dumont

Début septembre, Éric Neuhoff a publié un pamphlet incendiaire à l’encontre du cinéma français. Jubilatoire, quoiqu'un peu facile et sans grande valeur critique, son livre – qui n’en demandait pas tant – a soulevé l’indignation de l’acteur-réalisateur Yvan Attal. Pourtant, force est d’admettre, à la vision du dernier film de Bruno Dumont, la difficulté pour nous de donner tort à Neuhoff…

Second volet, après Jeannette, de son diptyque sur la pucelle d’Orléans, Jeanne s’inspire également du drame en trois actes de Charles Péguy paru en 1897. L’occasion, pour le réalisateur, de retrouver l’actrice Lise Leplat Prudhomme dans le rôle principal qui, âgée de dix ans seulement au moment du tournage, se révèle hélas bien trop jeune pour son personnage – rappelons que Jeanne d’Arc mourut à l’âge de 19 ans…

Sans doute peut-on voir dans ce choix de casting la volonté excessive de Bruno Dumont de signifier la pureté infantile de son héroïne. Luchini, quant à lui, est trop vieux pour le rôle de Charles VII …

Peu soucieux de fidélité historique, le réalisateur n’éprouve pas non plus l’intérêt de contextualiser le récit. Jamais il n’explique l’urgence, pour Jeanne, de faire couronner Charles à l’heure où le trône de France vient d’être attribué au fils en bas âge du roi d’Angleterre, Henri VI. Une conséquence directe du traité de Troyes de 1420 qui, validé par les Bourguignons alliés à la bourgeoisie parisienne, au Parlement et aux États généraux, prévoyait de donner la France aux Anglais.

La trahison des élites françaises n’est pas née d’aujourd’hui, elle est un schéma récurrent dans notre histoire. On ne comprend strictement rien à l’épopée de Jeanne d’Arc si l’on ne s’efforce un minimum d’évoquer ce contexte périlleux pour les Français.

Le pauvre Dumont, à ces trop basses considérations politiques, préfère comme à l’accoutumée (lire notre article sur Ma Loute) faire défilé de visages ingrats, de trognes grimaçantes, et nous gratifier d’un humour bas de plafond, en particulier lorsqu’il s’agit, par pur gauchisme crétin, de tourner en dérision les ecclésiastiques, des cibles faciles.

Seule Jeanne, par on ne sait quel miracle (la foi ?), semble échapper au mépris du réalisateur.

D’un point de vue artistique, le film est un ratage complet. Les acteurs font dans la récitation, ne jouent pas mais « jouent à » ; les décors s’étalent du XVIIe siècle (avec ses marbres et ses dorures) à la Seconde Guerre mondiale (un blockhaus en guise de cellule pour Jeanne !) ; les batailles sont remplacées par une chorégraphie équestre aussi improbable qu’interminable. Enfin, d’une voix d’héroïnomane en pleine overdose au fin fond d’un squat pourri et oublié de tous, le chanteur Christophe pousse dans les aigus la complainte et nous assomme de sa bande originale. C’est la cerise sur le gâteau.

Nombreux, durant la projection, ont quitté la salle avant la fin ; d’autres ont fini par se laisser aller à un rire franc et sonore, foncièrement libérateur, après avoir longuement réprimé, par gêne ou par politesse, quelques spasmes d'hilarité. Un tel constat est rarement bon signe.

Après Dreyer, Bresson, Rivette, Besson, et aujourd’hui Dumont, on peut malheureusement affirmer sans trop prendre de risque que le film sur Jeanne d’Arc reste à faire.

1 étoile sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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