Il y a des acteurs dont la vie se résume à la seule carrière. Il en existe d’autres dont la vie est une œuvre à part entière. Charles Gérard, qui vient de nous quitter, était un peu de cette seconde catégorie.

Né en 1922, à Constantinople, Gérald Adjémian (de son vrai nom) était de ces Français pas tout à fait de souche, mais ayant contribué à la gloire de leur pays d’accueil, tel, pour le meilleur, Achod Malakian, plus connu sous le pseudonyme d’Henri Verneuil ; ou le pire : Édouard Balladur, sorte d’Emmanuel Macron avant l’heure, en plus ottoman et plus goitreux.

À l’époque, la France était encore une magnifique machine à assimiler les populations les plus exotiques. Un exemple ? Astérix le Gaulois, avec Albert Uderzo, un Italien au dessin, et René Goscinny, Juif polonais ayant grandi en Argentine et fait ses classes à New York, aux dialogues. Aujourd’hui, la machine est d’autant plus grippée que plus personne n’a envie de la remettre en route. En ce sens, mon ami Benoît Rayski, pourtant ancien de Globe et de L’Obs, ne saurait me contredire… pour une fois.

Charles Gérard, donc, commence sa vie avec ces « quatre boules de cuir qui tournent dans la lumière », tel que chantées jadis par Claude Nougaro. Pas de chance pour notre apprenti boxeur : les boules qui tournent sont surtout celles qu’il prend en pleine face. Quatre duels ? Quatre KO. Sa carrière sur le ring s’annonce morose. Surtout lorsqu’en 1948, un certain Jean-Paul Belmondo lui atomise un nez qu’il a pourtant généreux, certains allant jusqu’à prétendre qu’avec un tel appendice nasal, il pouvait sans problème fumer sous la douche. Voilà qui crée des liens qui jamais ne se démentiront.

Ainsi, Charles Gérard sera, sa vie durant, le poteau à Belmondo. Ensemble, ils tourneront cinq films. Du meilleur, L’Incorrigible, de Philippe de Broca (1975) et Le Corps de mon ennemi, d’Henri Verneuil (1976), au pire, L’Animal, de Claude Zidi, sinistre pignolade en caleçon à fleurs remontant à 1980. Peu importe, finalement, sachant que bien avant les fameuses avancées sociétales du PACS et des palinodies qui s’ensuivirent, « Charlot » et « Bebel » formaient une sorte de vrai couple.

Charles Gérard avait pourtant l’amitié volage, sachant qu’il fut aussi l’un des acteurs fétiches de Claude Lelouch. Là, ce n’est plus une filmographie mais une véritable histoire d’amour, avec vingt films au compteur. Au rang de ces derniers, on saluera tout particulièrement L’aventure, c’est l’aventure (1972), où il fait partie de ce quintet magique composé par Aldo Maccione, Charles Denner, Jacques Brel et Lino Ventura. Et avec notre Johnny national en prime : qui dit mieux ?

Assez bizarrement, Charles Gérard ne fut pas au menu des deux films ayant permis à Lelouch et Belmondo de renouer avec le succès public : le très surestimé Itinéraire d’un enfant gâté (1988) et le fort sous-estimé Les Misérables (1994). Comme quoi la vie est immanquablement compliquée. « Y en a qui rentrent à la Comédie française, y en a qui rentrent chez Lelouch », aimait-il à dire, le défunt.

Sa coutumière modestie dût-elle en souffrir, Charles Gérard fut aussi, et surtout, à son corps défendant peut-être, l’une des chevilles ouvrières du cinéma français d’antan, participant de cette immémoriale tradition d’acteurs dont on connaît la tête sans jamais savoir le nom. Il enchaîna les bobines, mais personne ne connaissait véritablement la sienne. Il ne s’en formalisait pas plus que ça : « Je n’ai pas les épaules pour être tête d’affiche. »

Dans tout cela, il y avait une indubitable humilité d’artisan. On fait proprement son boulot, même s’il ne vous conduit pas au début des génériques. Au paradis des seconds rôles, gageons que l’homme y sera accueilli par ses pairs : Robert Dalban, Venantino Venantini, Raymond Bussières, Francis Blanche, Darry Cowl, Noël Roquevert, Farid Chopel et quelques autres.

Au royaume des Cieux, les derniers seront les premiers, à en croire la rumeur. Bienvenue chez les grands, cher Charles Gérard !

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20 septembre 2019 à 18:03

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