Charlie et Mediapart : extrême gauche contre gauche extrême…
Après la bataille d’Hernani, celle de Charlie. À gauche, Charlie, donc ; et à gauche, encore, Edwy. Récapitulons les rounds précédents. Cette une de l’hebdomadaire pour commencer, avec ce titre : "Affaire Ramadan, Mediapart révèle : On ne savait pas." Avec la tête d’Edwy Plenel, patron du site d’informations en question, en quatre exemplaires, trois d’entre eux se bouchant oreilles, bouche et yeux, façon babouins de Chine.
Dans le même temps, Edwy Plenel accuse Charlie de "mener la guerre aux musulmans" ; ce, à cause d’une autre une montrant Tariq Ramadan, précédé de sa virilité et expliquant qu’il est le "sixième pilier de l’islam". Du coup, Riss, éditorialiste dans Charlie, accusant Edwy Plenel de "condamner une deuxième fois sa rédaction à mort". Fichtre. Dans la foulée, Edwy Plenel riposte, affirmant que cette une est digne de l'« Affiche rouge ». Diantre. Pour mémoire, l’affiche en question est celle de la propagande allemande, arborant les visages de dix résistants des FTP-MOI (Francs-tireurs et Partisans-Main-d’œuvre immigrée), résistants jadis plus connus sous le nom de groupe Manouchian.
Comme dirait l’autre, il y aurait comme de la réduction ad hitlerum dans l’air entre ces journalistes de la gauche extrême prétendant traîner d’autres journalistes d’extrême gauche devant le tribunal de l’Histoire. Derrière la palinodie, les sourdes haines, les rancœurs mille et une fois recuites qui n’en finissent plus d’agiter ce joli petit monde, mais qui expliquent aujourd’hui nombre de choses.
Autrefois, alors que la question de l’islamisme ne se pose pas, l’extrême gauche est majoritairement pro-palestinienne, avant de se scinder en deux tendances : l’une poursuivant le combat, tandis que l’autre épouse les idées néoconservatrices et, de facto, sionistes, à l’instar de leurs cousins gauchistes américains.
Longtemps placée sous le boisseau, la question explose au grand jour dans… Charlie Hebdo, le 2 juillet 2008, quand le dessinateur Siné signe un billet où il raille le mariage de Jean Sarkozy avec l’une des héritières Darty, de confession juive. Philippe Val, alors directeur du journal satirique, juge l’article "antisémite" et vire Siné sans autre forme de procès. Nicolas Sarkozy le nommera ensuite – Val, pas Siné ! – à la tête de France Inter, ce qui restera à jamais en travers de la gorge de ses anciens amis de la gauche de combat.
De souterraine, la guerre devient donc publique, et d’autant plus inexpiable que le terrorisme islamique s’en mêle, alors que s’estompe la cause palestinienne. Les positions se radicalisent et un homme politique de premier plan, l’ancien Premier ministre Manuel Valls, cristallise à lui seul la fracture.
Naguère, il est l’un des éléments pro-palestiniens les plus actifs au Parti socialiste avant de retourner sa veste. "Par ma femme, je suis lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël !", phrase prononcée le 17 juin 2011, dans un centre communautaire juif de Strasbourg, et qui lui est encore reprochée aujourd’hui. Tout comme Jean-Luc Mélenchon lui reproche maintenant ses "liens avec l’extrême droite israélienne". Puis Manuel Valls accuse Jean-Luc Mélenchon "d’islamo-gauchisme", dans un récent dossier du Figaro Magazine consacré à "l’islamosphère" : atmosphère…
Un Edgar Morin, philosophe ayant cosigné un livre avec Tariq Ramadan, est une autre victime collatérale de ce conflit larvé, puisque lui aussi suspecté "d’islamo-gauchisme" en raison de sa traditionnelle opposition à la politique israélienne. Tout comme Pascal Boniface, fondateur de l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), qui a dû quitter les instances du Parti socialiste alors qu’il en critiquait le suivisme vis-à-vis de l’État hébreu. Et Jean-Luc Mélenchon de persister à protéger les éléments antisionistes les plus turbulents de La France insoumise.
Ainsi, deux gauches se font face. Mediapart et Charlie Hebdo ont clairement choisi leur camp : islamolâtrie béate pour le premier et islamophobie hystérique pour le second. D’un côté comme de l’autre, ce n’est pas tout à fait celui de l’intelligence.
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