Il y a des discordes à gauche comme à droite sur les sujets de bioéthique qui sont actuellement en cours de discussion au Sénat. Ces discordes internes semblaient anecdotiques, en 2013, lors des discussions sur l’ouverture du mariage entre personnes de même sexe : un Bruno Nestor Azerot ou une Bernadette Laclais faisaient figure d’exception à gauche, comme Franck Riester ou Luc Chatel à droite. La ligne de démarcation était nette : le progrès, c’est la gauche ; le conservatisme, c’est la droite.

Les voix de gauche qui s’érigent contre les dérives induites par l’actuel projet de loi se font plus fortes. Silviane Agacinski a dénoncé, dans son remarquable essai L'Homme désincarné. Du corps charnel au corps fabriqué, la marchandisation du corps. Michel Onfray fustige la PMA comme antichambre de la GPA et dézingue les études de genre, cheval de Troie du capitalisme transhumain. José Bové et Jacques Testart (entre autres) signent une tribune dans Le Monde pour s’opposer aux manipulations génétiques que permettrait la loi si elle est votée en l’état. Il y a aussi, dans Libération, cette remarquable tribune de Philippe Meirieu et Hélène Le Gardeur qui, même si elle salue l’ouverture de la PMA sans père, vilipende avec justesse la marchandisation du vivant, l’eugénisme, la subordination de la procréation aux impératifs des employeurs qu’induisent la conservation des ovocytes, le diagnostic prénatal, les embryons transgéniques ou chimériques.

Pour expliquer son refus de voter le texte, le sénateur communiste Pierre-Yves Colombat ne mâche pas ses mots, évoquant un « broyeur libéral du travail, de l’environnement et du vivant » et renvoyant à leur responsabilité des « progressistes mercantilistes ». Il est heureux que des matérialistes progressistes réalisent, enfin et de plus en plus nombreux, que cette loi ne sert pas le bien commun mais des intérêts privés, et surtout ne craignent pas de le dire.

Les flottements existent aussi à droite de l’échiquier politique. Sinon, comment interpréter l’injonction de ne pas manifester de Christian Jacob à ses députés ? Mais peut-être ne sont-ils dictés que par un opportunisme politique sous-jacent.

Quelques réflexions en guise de conclusion. Ludovine de La Rochère intervenait, le 18 juin 2015, face aux Veilleurs qui avaient, ce soir-là, emprunté la place Vendôme à leurs amies Sentinelles. Elle prévoyait l’effacement du clivage gauche/droite qui disparaîtrait au profit d'un nouveau opposant transhumanistes et bioconservateurs. Presque cinq ans après, Emmanuel Macron a pulvérisé gauche et droite traditionnelles, et nul doute que la fracture entre les libéraux libertaires partisans d’un progrès sans limites et les résistants qui s’y opposent devient chaque jour plus large et plus présente dans le débat. Aurait-elle eu raison ?

Peut-être que ce nouveau clivage qui grandirait peu à peu au détriment de l’ancien est une lecture trop rapide. Les divers communautarismes qui gangrènent notre société pourraient aussi laisser supposer l’émergence de la lutte du tous contre tous, préalable aux crises mimétiques théorisées et annoncées par René Girard.

En 2013, il était reproché par le camp du progrès à celui des opposants au mariage entre personnes de même sexe d’user du « gros mot » d’anthropologie. C’était peut-être effectivement confondre la légitimation d’une situation de fait, fruit d’évolutions passées, avec son étude aussi rigoureuse que possible. Mais dès lors que l’homme est conscient et capable de tenter de se projeter dans un futur en tant qu’espèce au sein d’un monde, pourquoi s’interdirait-il d’influer sur ce futur en fonction de sa perception du bien commun ? C’est le sens de la noble politique. Le problème est, sans doute, qu’on ne discerne pas correctement ce bien commun. Mehr Licht! Plus de lumière !

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 23/01/2020 à 18:26.

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22 janvier 2020 à 18:02

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