Bac : place à la « discriminocratie » positive

bonnet-ane

Par rapport à « L'École des fans », le gros avantage du baccalauréat, c'est qu'au bac, on peut participer deux fois ; dans les deux cas, à la fin, tout le monde - ou presque – gagne quand même. Plus de 90 % de réussite, pour ce cru 2021. Une fois de plus, les surdoués passent le bac, et après les variants Covid, sur les plateaux, les experts prédisent une pandémie de variants génies : des Albert, des Léonard, des Louis à la pelle, et une curie de Marie.

Pourtant, les profs de philo redoutaient que l'épreuve épistémologique ne soit pas du meilleur cru - intuition tristement confirmée par les faits. Cette année (Covid oblige), l'obtention du précieux sésame philosophal dépendait de la meilleure note obtenue entre l’épreuve officielle et celle du contrôle continu. Mais holà ! pas à n'importe quel prix, on ne badine pas avec la crédibilité de l'école républicaine ; la condition ferme et inconditionnelle était que le futur lauréat ait rendu sa copie. La circulaire ministérielle ne précisait pourtant pas si c'était de la main droite ou de la main gauche. Mais une chose est certaine : les ambidextres étaient, sur le coup, le jour de l'épreuve, plutôt sereins. Pour paraphraser un Alfred célèbre, « Qu'importe le baratin, pourvu qu'on ait le papier » : recette de tartiflette, de tajine vegan, les derniers alexandrins de Youssoupha, la liste des courses, qu'importe la recette, pourvu qu'on ait la marmite ; Alfred, encore.

Du coup, vu l'enjeu, beaucoup de copies ont été rédigées assez rapidement et de nombreux témoignages faisaient état du départ précipité de nombre de candidats bien avant la fin de l’épreuve. Que les élèves eussent été assez peu motivés par une épreuve qui n'en était pas une, on peut aisément le comprendre. Selon les profs, les copies étaient « de qualité très médiocre avec un niveau syntaxique et orthographique très bas », « des dissertations qui n’en étaient pas, des copies très courtes, du bavardage non philosophique, un manque de profondeur, une culture académique inexistante ». Pis : les moyennes étaient plus basses qu'à l'accoutumée. Historique! Le progrès en marche, le bac, enfin niveau bac à sable : probablement la première fois dans son histoire, qu'une épreuve littéraire se mue en épreuve de physique quantique : là, on a vraisemblablement atteint le zéro absolu ; Celsius, Fahrenheit et Kelvin s'arrachent les cheveux et, sans transition, c'est le degré Blanquer zéro qui devient la norme, sur le fond et la forme. Après le jouir, le bac sans entraves se pérennise ; encore et toujours ce maudit mois de mai 68. Après l'enfant roi, l'enfant con ?

Les « commissions d’harmonisation »d es notes n’ont d’ailleurs guère été faciles. De la copie rédigée en morse à une autre en basque et, qui sait, peut-être même dans quelque quartier interdit, l'une ou l'autre copie écrite de droite à gauche, allez savoir. Tout y passe et, vaille que vaille, tout doit passer. Au-delà du désastre ponctuel de l'épreuve s'en profile un autre à plus long terme, bien plus tragique. La bulle du nivellement abyssal de l'école de la République égalitaire qui va nous exploser à la figure, qui n'arrête pas de dégringoler dans les classements internationaux, PISA et autres, et qui participe fièrement à la fabrique du crétin républicain par « baccalauricide » interposé.

Tout un pan d'une génération qui ignore les bienfaits de l'effort, le plaisir du savoir ; sus à la méritocratie stigmatisante, le progrès diversitaire fait place à la discriminocratie positive : chances égales et émancipation sociale pour tous, obligé, pas le choix. Richard Millet, dans ses Arguments d'un désespoir contemporain, parle de « la crise de l'amour de la langue ». On y rajouterait la crise intergénérationnelle de l'amour de l'effort et des connaissances : peut-on transmettre ce que l'école de la République n'a pas tôt inculqué ?

Et cette école ,enfin, ne reflète-t-elle pas, somme toute, l'image de ce régime narcissique où la vacance intellectuelle de cellezéceux censés nous gouverner traduit à elle seule l'abîme dans lequel se morfond notre pays, où tout a été galvaudé, en ce y compris, et peut-être surtout, la fonction suprême de l’État.

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