Le confinement fait ses premiers ravages. Exemple, cette déclaration visionnaire, rapportée par Challenges, d’un député LREM reclus dans sa thébaïde, évoquant l’après-coronavirus : « Il faudra frapper fort, bouleverser le champ politique, avec un gouvernement d’union nationale. Pourquoi pas Sarkozy Premier ministre ? Personne n’y a pensé… En tout état de cause, le match de 2022 face à Marine Le Pen est plié, Emmanuel Macron a déjà gagné. Il s’est imposé comme le père de la nation. » Pâtes ou coke en stock sur les étagères de la cuisine ?

Certes, dans le « bordel ambiant actuel », pour l’instant tout va bien, si l’on peut dire, pour le Président. Le Figaro vient de publier un sondage Odoxa : « 96 % des Français approuvent les mesures de confinement annoncées par Emmanuel Macron. » Mais on ne devient pas « père de la nation » en demandant aux Français de se moucher dans le coude et il ne faudrait pas prendre ce quasi-consensus, qui semble tomber sous le sens, comme un plébiscite pour le Président. Du reste, un deuxième chiffre écorne sérieusement cette apparente « union sacrée » : « 85 % des sondés regrettent toutefois que ces restrictions ne soient pas intervenues plus tôt. »

Les incohérences, le sentiment qu’ordres et contre-ordres se bousculent jusqu’au désordre - la déclaration de Muriel Pénicaud fustigeant le BTP de vouloir arrêter le travail ou encore la tergiversation sur la tenue des conseils municipaux, samedi, en sont de bien tristes illustrations -, l’interview désastreuse, lundi, d’Agnès Buzyn venant saper le moral de la troupe et, bien sûr, surtout, les drames humains, familiaux, qui frappent aveuglément, tout cela ne pourra que laisser des traces profondes, durables, indélébiles.

Le devoir de mémoire ne concerne pas que les faits vieux de deux siècles et il faut espérer que les Français en auront un minimum lorsqu’il s’agira de tirer les conséquences politiques (et peut-être judiciaires) de cette crise, qu’ils sauront se souvenir que nos gouvernants n’ont, à l’évidence, pas su anticiper, ce qui aurait permis d’atténuer le choc. Un choc, dit-on, qui est devant nous. Le pouvoir en place serait bien présomptueux de penser qu’il pourra sortir indemne de cette tragédie nationale. « Bouleverser le champ politique », nous dit ce député ? Il est déjà pas mal ravagé, depuis trois ans...

Emmanuel Macron a su sortir indemne de la péripétie Benalla qui nous paraît aujourd’hui, comparée à ce que nous vivons, comme une joyeuse galéjade. De même, il a pu s’extirper de la crise des gilets jaunes en se délestant de quelques milliards et en faisant croire qu’il était le chef du parti de l’ordre. On n’a fusillé personne au Père-Lachaise, mais l’idée y était.

Aujourd’hui la crise sanitaire est d'un tout autre ordre car il en va de la vie et de la mort. Certes, le télétravailleur du secteur tertiaire, confiné dans sa jolie maison de campagne, a peut-être moins de chances d’être touché que ces tire-au-flanc du BTP à qui Pénicaud semble presque prête à envoyer les gendarmes pour les mettre au turbin. Certes, on sent bien qu’il y a une sorte de France d’en haut et une France d’en bas qui se dessinent peu à peu. Ainsi, j’apprends aujourd’hui qu’une amie, confinée chez elle et qui a 90 % de chance d’être touchée par le coronavirus, se voit refuser d'être testée par son médecin et l’hôpital. Elle se consolera en apprenant que Michel Barnier, par exemple, lui, a pu l'être. Il nous tweete gentiment son état de santé, des fois qu’on s’inquiète pour lui. Il va bien, tant mieux. Mais la maladie, à la longue et sur les grands nombres, finira par mettre tout le monde d'accord : vainqueurs ou perdants de la mondialisation, fumeurs de gauloises ou consommateurs de tofu...

Alors, la crise passée, Emmanuel Macron fera-t-il encore une fois illusion ? « Il faudra frapper fort, bouleverser le champ politique », nous dit le député confiné. Les Français s'en chargeront peut-être eux-mêmes.

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20 mars 2020 à 16:48

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