[Tribune] Inflation : signe d’un modèle économique usé jusqu’à la corde (2/2)

inflation

Suite de la tribune publiée le 14 janvier.

L’ensemble des facteurs ayant conduit à la forte inflation que nous connaissons actuellement sont tous liés à la médiocrité des dirigeants occidentaux : gouverner, c’est prévoir, et non subir sans cesse les conséquences de ses erreurs. Cette incapacité de prendre les bonnes décisions est elle-même un facteur d’inefficacité, donc un facteur inflationniste qu’on peut nommer comme cinquième facteur structurel. Cette crise inflationniste est sans doute l’annonce d’une fin de cycle économique causée par un modèle économique usé jusqu’à la corde et devenu complètement inefficient.

Un amoindrissement de l’inflation à venir à court terme ?

Les salaires étant restés relativement sages, il n’y aura a priori pas d’apparition de spirale prix-salaires. La récession qui s’annonce en Occident, la baisse des prix des matières premières et de l’énergie, les plans de relance excessifs absorbés, l’inflation commence à diminuer. Il est très probable qu’elle diminue pendant les prochains trimestres. La prévision sur la rapidité de la baisse de l’inflation reste difficile. D’un côté, la sortie de la Chine de la stratégie zéro Covid entraînera peut-être une hausse importante des prix des matières premières et des prix des produits chinois, ce qui ralentirait la baisse de l’inflation en Occident. De l’autre côté, si le château de cartes financier commence à s’effondrer avec les taux d’intérêt élevés et la récession, la baisse de l’inflation pourrait être très importante. Une inflation à 2 % est alors possible en fin d’année.

Qu’en sera-t-il sur le long terme ?

Les cinq facteurs structurels que nous avons listés dans notre article précédent resteront en place. Ce sont des facteurs inflationnistes qui ne sont pas contrebalancés par des facteurs désinflationnistes de même amplitude.

La démondialisation économique forcée liée à la situation géopolitique impose des relocalisations qui sont inflationnistes.

Le dysfonctionnement du management financiarisé dans les entreprises occidentales est synonyme de perte d’efficacité, donc d’inflation. À ceux qui ne le croient pas, échangez sur ce sujet avec quelques personnes salariées dans des entreprises privées grandes ou moyennes.

La médiocrité des élites politiques occidentales pousse dans la direction d’une baisse d’efficacité de nos économies et, donc, vers plus d’inflation.

L’utilisation massive de la planche à billets par les banques centrales pour empêcher l’effondrement de la croissance et l’effondrement financier en Occident est inflationniste. Elle a cessé une année, elle devra reprendre plus tard.

L’énergie restera chère à l’avenir. La mouvance écologique pousse les banques et les entreprises pétrolières à ne plus effectuer assez d’exploration/production pour renouveler les gisements de pétrole. Dans un mouvement autoréalisateur, le pétrole extrait devient insuffisant pour que les prix restent sages. Qui plus est, de nombreux indices annoncent un pic pétrolier (une baisse de la production pétrolière, la moitié des ressources mondiales exploitables ayant été extraites) à un horizon maximum de dix ans.

La transition énergétique sera inflationniste, d’autant plus que l’État stratège en est absent, idéologie néolibérale oblige. Si le passage de la France d’une électricité fossile à une électricité nucléaire s’est faite avec une baisse de prix entre 1980 et 2000, c’est parce que l’État stratège en était le pilote assurant construction en série, financement peu coûteux et exigence de rentabilité faible. Il n’en va pas de même quand des entreprises privées sont les acteurs principaux voire uniques de tels projets et qu’il n’y a pas de chef d’orchestre.

Un autre facteur normalement inflationniste est apparu. Les taux de natalité sont très bas en Occident, autour de 1,2-1,5, enfant par femme. Les seuls pays dont la natalité tenait encore voient les taux de fécondité plonger : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France sont passés de taux de fécondité proches de 2 à, respectivement, 1,64, 1,56 et 1,83. Ce mouvement de baisse de la natalité touche tous les continents à l’exception de l’Afrique. En Chine, le nombre des naissances est passé, en dix ans, de 16,5 millions à 10,5 millions pour une population de 1,5 milliard d’habitants ! L’ensemble de l’Asie est touché, l’Inde ayant cependant encore un taux de fécondité supérieur à 2 (2,05). Confrontée à une baisse longue et forte de sa natalité, l’usine du monde chinoise verra sa population en âge de travailler baisser d’un tiers dans les trente prochaines années. Il s’agit d’un véritable choc pour l’économie mondiale. Certes, l’Inde peut prendre partiellement le relais de la Chine, mais l’efficacité de l’organisation indienne n’est pas celle de la Chine. La délocalisation de la programmation informatique en Inde a été une mode, elle s’est brusquement arrêtée à cause de tels soucis. La baisse de la main-d’œuvre disponible dans le monde devrait avoir un effet inflationniste.

En conclusion, tous ces facteurs pointent vers une inflation soutenue dans les dix prochaines années. Point important : les gouvernements occidentaux ont intérêt à avoir un régime inflationniste. En effet, la dette publique des pays occidentaux est devenue excessive, avec des niveaux dépassant souvent 100 % du PIB. Si le taux d’intérêt moyen dépendant de la banque centrale est conservé à un niveau inférieur à l’inflation, le stock de dette publique baisse grâce à l’inflation. Plus d’inflation aiderait donc les gouvernements à baisser sans effort la dette publique des États. Cela rend évidemment le processus inflationniste plus probable.

En matière de prévision économique à long terme, il est nécessaire d’être humble car la multitude de facteurs, les interactions entre ces mêmes facteurs, les chocs exogènes, les inconnues politiques, les ruptures technologiques ou sociologiques rendent la prévision très difficile. Cependant, tout pousse dans la même direction : celle d’une inflation élevée.

Vos commentaires

10 commentaires

  1. Ce constat, bien documenté, merci Philippe Murer, ne vient que trop souvent dans les discussions.
    Ce sont des solutions que nous attendons de la part de ces experts en économie, si même ils nous rétorquent à juste titre que le destin de la nation est dans les mains du politique, pas de l’économie.
    A quand des dirigeants courageux ?

  2. Mon message d’hier s’est évaporé entre mon ordi et BV donc j’en remet un en espérant qu’il arrivera à bon port.
    L’inflation a des sources multiples dont certaines auraient pu être évitées si les élites politiques occidentales avaient pour but de prévoir le résultat, à long terme, de leurs décisions. Dans notre pays des français ont élu des femmes de ménages , au parcours scolaire stoppé au cm1, comme député….difficile dans ces conditions de leur demander de prévoir les causes et résultats de l’inflation sur l’avenir de la nation.

  3. Afin de répondre à un commentateur. Regardez de plus près la Suisse et sa monnaie. Si vous placez dans ce pays ils ont trop d’euros et n’en veulent plus. Si vous leur demandez le change de vos économies en FS seules certaines petites banques acceptent. De plus les grilles des banques en France soudées au chalumeau c’est pour bientôt.

  4. Je suis surpris que cet article ait été écrit par Philippe Murer, lui qui prône le remplacement du nucléaire par les éoliennes et est un écologiste convaincu. Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.

  5. Vous attaquez cet article en citant l’adage qui enonce que « gouverner c’est prévoir »… C’est bien là le problème de nos dirigeants : ceux d’aujourd’hui ne décident plus « pour les génération futures », mais pour « la prochaine élection ». Sous Pompidou, lui et Pierre Mesmer son premier ministre, avaient lancé un programme de centrales nucléaires pour que leurs enfants et petits enfants beneficient d’une électricité peu chère et abondante, ce qui a été le cas pendant 40 ans. Nos dirigeants actuels ont tout cassé uniquement pour satisfaire un petit lobby écologiste, minoritaire mais qui crie très fort mais surtout qui leur rapporte des voix. Tout est axé sur « la prochaine échéance » électoral. Ainsi sans projet à long terme, la france avance de saut de puce en saut de puce au gré des courants et des intérêts ponctuels de ses élus. De même, aujourd’hui, ceux qui défendent, bec et ongle la retraite par répartition, sont les mêmes qui luttent contre la natalité, les familles nombreuses et une politique familiale ambitieuse, et qui demain pleureront parce qu’il n’y aura plus personne pour leur payer leur retraite.

    • Vous avez parfaitement argumenté aussi bien sur l’écologie et le nucléaire que sur le régime des retraites et la natalité.

  6. L’inflation ? Elle est programmée. Je l’ai dit hier. L’ÉTAT voudrait voler les bas de laine, seulement les réactions seraient violentes. Aussi une inflation partant de l’énergie à des prix exorbitants, ce qui entraîne automatiquement une hausse inconsidérée de toute notre production, car tout est basé sur l’énergie, plus rien n’est conçu manuellement, l’ÉTAT magnanime donne des aides aux catégories les plus impactées, et pour les autres subissent l’inflation 5,6,7,%, tant que les citoyens acceptent, la pilule passe et dans dix ans avec 6 ou 7 % d’inflation votre capital vaudra 0 + 0 = 0.
    Vous serez ruiné. Seulement nos ZELITES oublient les risques d’un conflit mondial. C’est là l’INCONNU.

  7. Il faudrait ajouter à ce triste constat une chose bien dissimulée par le bunker de Bruxelles qui est la perte de valeur de l’euro comparée à des monnaies sérieuses. Dans certains pays on sait déjà que l’euro ne vaut plus grand chose.

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