Tirer les leçons de la crise : quelle société pour l’après-coronavirus ?

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C’est Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, qui a eu les mots les plus justes quant à cette crise planétaire : « L’Union européenne, le marché unique et la politique de la concurrence ont été conçus pour un monde sans tragédie. »

Aujourd’hui, la tragédie est là et bien là. Comme toute tragédie, elle aura une fin : même la guerre de Cent Ans n’a pas duré deux siècles. Mais après ? Là est toute la question.

Pour le sociologue Michel Wieviorka, interrogé par Le Point, ce 30 mars dernier : « Ce qui est sûr, c’est que cette crise nous place en face de grandes questions. À commencer par celle de l’opposition entre démocratie et autoritarisme. » La preuve en est, poursuit-il, « que cette catastrophe, tout comme d’ailleurs depuis 2015 le terrorisme global, engendre des tendances à l’autoritarisme ».

Ces tendances, ajoutera-t-on, ont d’ailleurs précédé les « catastrophes » en question : les nations montantes, Chine, Russie, Inde ou Iran, et les USA dans une moindre mesure, penchant plus vers « l’autocrature » ou la « démocratie illibérale » que du côté de ces « démocraties libérales » dont tout un chacun constate qu’elles sont à bout de souffle.

Et Michel Wieviorka de noter, non sans raison : « Les crises antérieures n’ont pas été réglées, et j’observe au sein du corps social une sorte de “giletjaunisation”. La tragédie actuelle ne vient pas se substituer au ressentiment de ceux qui s’étaient reconnus dans ce mouvement. Le Covid-19 se greffe sur la colère sociale et politique. »

Dans une tribune publiée par Valeurs actuelles, ce jeudi 2 avril, le philosophe Alain de Benoist ne dit finalement pas autre chose : « L’essence du système, c’était l’illimitation : toujours plus d’échanges, toujours plus de marchandises, toujours plus de profits pour permettre à l’argent de se nourrir de lui même, pour se transformer en capital. » C’est-à-dire qu’à force de laisser faire « doux commerce » et « main invisible du marché », les traditionnelles autorités politiques ont délégué leurs prérogatives à des cénacles d’experts censés incarner cette « bonne gouvernance » si chère à des Alain Minc et des Jacques Attali.

Bref, les marchés font autorité. Mais cette autorité, non contente de ne s’incarner en aucune figure palpable – qu’on puisse applaudir ou huer –, demeure illégitime, n’étant issue ni du suffrage universel ou de quelque onction divine, tel que c’était le cas jadis, dans les univers chrétiens ou musulmans. On ne peut respecter que ce qui est respectable, en d’autres termes.

Alain de Benoist, toujours : « Dégonflée en tous les sens du terme, la Commission européenne ressemble à un lapin pris dans les phares : ahurie, sidérée, paralysée. Incapable de décider quoi que ce soit à l’heure de l’urgence, elle a piteusement suspendu ce à quoi elle prétendait tenir le plus ; les “critères de Maastricht”, c’est-à-dire le “pacte de stabilité” limitant les déficits des États à 3 % du PIB et la dette publique à 60 %. » Et le même de conclure : « Ce n’est pas la fin du monde, mais la fin d’un monde. »

En ces circonstances, il est souvent d’usage de prétendre que « plus rien ne sera plus jamais comme avant ». Vœu pieux ou pensée magique ? Cela nous fut seriné après la crise de 2008, mais ni Barack Obama et encore moins François Hollande ne furent en mesure d’au moins exiger des banques qu’elles découplent activités de dépôts et d’investissement.

Si l’on remonte plus loin encore, les premiers mois de la Grande Guerre furent frappés du même sceau d’amateurisme et d’optimisme béat, avant qu’un grand sursaut patriotique, issu de la base et non point du sommet, ne vienne inverser le sort des armes. En a-t-on retenu les leçons ? Pas forcément, au vu du second conflit mondial, l’armée française – pourtant la première au monde – ayant été balayée en trois semaines.

Même s’il n’est pas indispensable d’espérer pour entreprendre, voilà qui ne rend pas forcément optimiste pour les lendemains de l’actuelle crise.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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