[Télévision] Esterno notte, le mini-feuilleton sur l’enlèvement d’Aldo Moro, par Marco Bellocchio

esternetto

Disponible gratuitement depuis quelques jours sur le site d’Arte, et déjà commercialisé en DVD, le feuilleton Esterno notte, réalisé par Marco Bellocchio (Vincere, Le Traître), revient en détail sur une affaire emblématique de l’Italie des années de plomb, à savoir l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, en 1978, par un commando des Brigades rouges.

Président de la Démocratie chrétienne, Moro cherchait à cette époque à rassembler le centre et le Parti communiste autour d’un compromis historique visant à sortir de la crise économique, sociale et politique dans laquelle était plongée l’Italie. Un compromis qui ne prévoyait aucun poste décisionnaire au sein du gouvernement pour les membres du PCI mais qui, par l’obtention de leur vote de confiance, risquait bien à terme de les faire accéder à un ministère. Une perspective qui inquiétait les Américains comme une partie non négligeable des députés membres de la Démocratie chrétienne qui craignaient l’infiltration aux plus hautes sphères de l’État, de personnalités politiques à la botte de Moscou. Ces manœuvres politiciennes, l’extrême gauche – et notamment les Brigades rouges – les dénonçait publiquement, n’y voyant que marchandages et compromissions au détriment du peuple prolétaire. D’où les événements qui suivirent.

Construit en six épisodes assez inégaux, le récit nous raconte sous six angles différents l’enlèvement et l’assassinat du président de la Démocratie chrétienne. Le cinéaste Marco Bellocchio s’était déjà attaché, en 2003, à retracer l’affaire sous l’angle des Brigades rouges avec son film Buongiorno, notte. Aujourd’hui, son feuilleton élargit la focale et propose un tour d’horizon exhaustif des événements. Ainsi, le spectateur a droit non seulement au point de vue des terroristes, mais aussi à celui des politiques, du Vatican, de Moro en personne et de son épouse Eleonora.

Très ironique dans le ton qu’il emploie, jusque dans ses choix musicaux (parfois déroutants), le réalisateur nous dépeint à loisir un gouvernement à la ramasse, entouré de généraux fascisants aux suggestions démesurées, prompt à mettre tout le pays sur écoute (y compris le pape !) pour retrouver Aldo Moro, mais refusant de céder quoi que ce soit pour obtenir sa libération – les Brigades rouges ne cherchaient pourtant qu’à monnayer la libération de prisonniers politiques.

Pis encore, le gouvernement, de crainte que Moro ne dévoile à ses ravisseurs des secrets d’État, cherche à le discréditer dans la presse, sous les conseils des Américains, en le faisant passer pour fou. Un moyen, également, de tirer à la baisse la valeur du prisonnier…

À la tête des opérations, le ministre de l’Intérieur Francesco Cossiga est représenté comme un semi-dingue cyclothymique et paranoïaque, incapable de mettre de côté ses problèmes conjugaux et perdant un temps précieux à donner crédit à des voyants (!). Le réalisateur, qui n’a cessé tout au long de sa carrière de bouffer du curé, tourne autant en ridicule le pape Paul VI (Toni Servillo, rendu populaire au cinéma pour ses rôles comiques), lequel passe son temps à se mortifier mais n’appelle jamais le gouvernement, dans ses déclarations publiques, à céder aux ravisseurs le moindre bout de terrain. Aldo Moro, nous dit-on, fut abandonné de tous.

Ancien militant d’extrême gauche passé par le maoïsme dans les années 60, Marco Bellocchio se montre à peine moins sévère envers les Brigades rouges dont il condamne l’aveuglement adulescent, le sectarisme et l’inconséquence. Finalement, seule Eleonora Moro trouve grâce à ses yeux. Plus lucide que les politiques, qui à son contact surjouent la pleurniche, l’épouse du président de la Démocratie chrétienne fait entendre sa voix comme elle peut, mais comprend rapidement aux insuffisances des uns et des autres que son mari est perdu.

Très personnelle dans sa vision de l’affaire Aldo Moro, cette œuvre maîtrisée de Marco Bellocchio est pour le moins instructive sur le plan historique et se prête aisément à plusieurs visionnages.

 

4 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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