Du soleil, des chiens et de la liberté

Comme chaque année, la philosophie ouvre le bal des épreuves du baccalauréat. La particularité de 2017 est que cette épreuve se déroule entre deux tours des élections législatives. Une espèce de mi-temps de réflexion entre deux jours de pugilat qui peut nous amener à nous interroger sur les rapports entre l’esprit et le pouvoir.

Diogène était un philosophe athénien, chef de file de l’école cynique. Il estimait que les conventions sociales sont artificielles et qu’il fallait vivre en étant le plus proche possible de la nature pour être heureux. Vivre comme un chien (kuôn signifie « chien », en grec ancien) en se passant du superflu, ce qu’il faisait notamment en vivant dans une jarre. Dans ce refus des conventions, Diogène cherchait surtout la liberté, c’est-à-dire l’obéissance à la raison plutôt qu’à des traditions dont on ne peut rendre compte de la pertinence.

Sa réputation était arrivée aux oreilles d’Alexandre le Grand, qui vînt un jour le voir en lui proposant de lui fournir tout ce dont il avait besoin. Sa réponse fameuse fut : « Ôte-toi de mon soleil. » Il montra par là sa véritable liberté, qui lui permettait de ne pas perdre de vue que la lumière du soleil était bien plus importante. Bien plus que ce que le plus grand souverain de l’époque pouvait lui apporter.

Assurément, Emmanuel Macron n’est pas Alexandre et il rivalise plus avec une luciole qu’avec le soleil. Il est d’autant plus étonnant de voir comment des gloires déchues ou en voie de déchéance de la politique se courbent devant lui. Tel ancien ministre socialiste vient mendier son soutien pour conserver son poste. Tel autre ancien ministre de droite soutenant un candidat macroniste contre celui de son propre parti. Des candidats théoriquement opposés jurent leurs grands dieux qu’ils bénéficient tous deux de son soutien. Une multitude de premiers et de seconds couteaux tentent de sauver leur strapontin au Parlement pour essayer d’attirer l’attention de l’Alexandre de l’Élysée, lui promettant qu’ils seront bien fidèles s’il leur donne de quoi remplir leur gamelle. Assurément, ce ne sont pas des Diogène, même si leur comportement a aussi à voir avec les chiens. C’est qu’au IVe siècle avant Jésus-Christ, les chiens ne portaient pas de colliers et avaient plus de points communs avec le loup de la fable qu’avec nos chiens d’aujourd’hui.

Je ne sais pas quels seront les sujets proposés aux candidats ce jeudi. Mais je les invite à réfléchir au fait qu’Alexandre est mort et que le soleil brille toujours. Ils peuvent aussi, s’ils tiennent la gloire des hommes pour quelque chose, songer que si Diogène est encore fameux vingt-cinq siècles après sa mort, ce n’est pas parce qu’il s’est fait le valet du maître de son époque, mais au contraire parce qu’il a refusé de rien lui devoir. Quant à dimanche prochain, on sait déjà que des quémandeurs seront balayés pour être remplacés par d’autres quémandeurs.

Pierre Van Ommeslaeghe
Pierre Van Ommeslaeghe
Professeur de philosophie

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