Sibeth, les fraises, les asperges et nous, qui ne travaillons pas…

Sibeth N'Diaye

Chère Sibeth,

Je devrais dire « Madame la porte-parole du gouvernement français », mais le ton familier, badin, enjoué que vous employez systématiquement quelle que soit l'heure - et elle est assez grave, non ? il paraît que nous sommes en guerre -, quel que soit le sujet, me pousse à m'adapter.

Je vous écris de « l'autre bout de la France », cette terre de fraises et d'asperges qui a besoin de bras, le Sud-Ouest - fraises et gariguettes de Dordogne et du Lot-et-Garonne, asperges des Landes -, comme d'autres pourraient le faire du Vaucluse, et de tous nos terroirs. Fils d'agriculteurs, je connais un peu ce type de ramassage, la dureté de la vie à la campagne et beaucoup l'angoisse et la colère des agriculteurs en ce moment. Vous voir évoquer cela avec ce ton-là est véritablement consternant. Surtout que c'est avec le même ton « cool » qui était le vôtre il y a quelques jours : pas de psychose, ce n'est rien, on ne ferme pas les écoles pour ça, etc. Vous êtes la voix d'un gouvernement qui a précipité notre pays dans une CATASTROPHE sanitaire, économique, sociale inédite. Ces mots n'ont rien d'excessif, le dictionnaire validera leur justesse. On serait donc en droit d'attendre de vous un peu de gravité, de retenue, de « profil bas ». Il doit bien y avoir des formations quelque part, pour ça aussi, non ?

Mais je vous écris aussi depuis mon poste d'enseignant en télétravail. J'en ai dit les heureuses découvertes, je pourrais aussi, comme avec des centaines de milliers de collègues, vous en raconter les difficultés, les contraintes, les limites. Votre collègue M. Blanquer pourra certainement vous proposer, là aussi, une petite formation et vous dire que, oui, nous travaillons.

Mais je vais vous dire ce qui m'a le plus choqué, dans votre intervention, c'est que, quand il s'est agi de chercher, dans vos fiches ou vos éléments de langage, une catégorie de la population qui pourrait se trouver désœuvrée durant cette période d'arrêt de l'économie, ou encore plus désœuvrée que d'habitude, vous n'êtes bien sûr pas allée chercher les chômeurs. Non, on ne stigmatise pas les chômeurs. Vous n'êtes pas, non plus, allée chercher certains « jeunes majeurs » très très désœuvrés, à tel point qu'ils ne supportent pas le confinement, qu'ils ont envie de sortir, de bouger, de dépenser leur trop-plein d'énergie, et pour lesquels il faut adapter les consignes très strictes du confinement. Non, on ne stigmatise surtout pas ces « jeunes ». Non, vous êtes allée chercher - inconsciemment ou pas, peu importe - les enseignants.

Vous rendez-vous compte qu'après deux ans de gestion sociale catastrophique - gilets jaunes, hôpital, réforme des retraites -, vos responsabilités sont écrasantes dans cette crise majeure que vous n'avez pas anticipée (comme les trois autres, d'ailleurs, alors qu'elles étaient criantes) ?

Et la navrante désinvolture de vos mots, dans l'exercice de vos fonctions - et je ne parle même pas de vos conversations avec vos collègues ministres rapportées par Le Canard enchaîné...- est un aiguillon supplémentaire à une colère déjà immense qui ne pourra pas éternellement être contenue. Et qui n'est pas seulement celle des enseignants, des agriculteurs, des soignants, des forces de l'ordre, mais celle de tout un peuple.

Bien à vous, Madame le Ministre.

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