Roman Polanski victime de la chasse aux sorcières ?

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Le metteur en scène franco-polonais qu’on sait, assez malmené par les médias depuis des décennies, serait-il devenu, à son corps défendant, symbole d’une époque révolue et figure emblématique – expiatoire, voire – de celle en train d’advenir ? C’est à croire, à en lire le long entretien accordé à cet hebdomadaire connu pour le poids de ses mots et le choc de ses photos.

On passera, bien sûr, sur les faits qui lui sont reprochés, remontant à près d’un demi-siècle ; à savoir les écarts sexuels avec une très jeune fille, Samantha Geimer. Elle a finalement soldé les comptes de ces folles années, moyennant un peu d’argent – nous sommes aux USA, tout de même – et a depuis longtemps tourné la page.

Et Roman Polanski d’affirmer à Paris Match : « Nous vivons une époque bizarre, j’ai l’impression d’un renversement d’idéologie total entre ma jeunesse et maintenant. J’ai eu la chance de vivre dans une société infiniment plus libre. Dans les années 1960, tout se déverrouillait : la parole, la musique, les mœurs. On n’aurait pas imaginé voir des groupes de manifestants devant un cinéma ou un musée pour interdire une projection ou une exposition. »

Voilà qui est parfaitement exact. Naguère, et ce, sur France Inter, radio d’État gaullo-communiste s’il en fut, le baron Jean-François Chiappe, royaliste revendiqué et, par ailleurs, un temps vice-président du Front national, animait « Le Miroir de l’Histoire », en compagnie d’André Castelot et Alain Decaux, sans que cela ne bouscule plus que de raison la conscience de classe des techniciens de la CGT, pourtant sourcilleux en la matière… Bref, l’épuration intellectuelle de l’après-guerre n’empêchait pas le dialogue entre gens de bonne compagnie.

Ce qui fut probablement un peu le cas du même Roman Polanski, dont la mère rendit l’âme dans les camps nazis, tandis qu’il n’échappa que par miracle au ghetto de Varsovie, pour finalement réussir à fuir une autre tyrannie, soviétique, celle-là, frappant la Pologne de ses ancêtres. Et voilà que cet homme, ayant survécu aux deux monstres idéologiques ayant ensanglanté le siècle dernier, en est réduit à retourner en son placard pour les histoires que l'on sait… Quelle ironie.

Et le même de rappeler, non sans distance et raison : « Ce n’est pas que je regrette mes jeunes années, comme des vieux qui radotent que “c’était mieux avant” ; c’est plutôt comme si j’avais vécu sur une autre planète. Tout était simple entre les hommes et les femmes : on se rencontrait dans une boîte de nuit, on dînait, on rentrait ensemble, c’était normal. »

Voilà qui fit l’ordinaire de l’auteur de ces lignes, et de nombre de nos lecteurs et lectrices, j’imagine ; cette norme d’amour courtois ayant cédé le pas aux brigades de la vertu et autres milices de l’ordre moral. Ces dernières ne viennent pas de Vénus – si l’on ose dire, en la circonstance – mais des USA : « N’oubliez pas que toutes ces idées folles que je réprouve viennent de ce pays qui est devenu dingue. »

Une dinguerie devenue contagieuse, à en juger du psychodrame ayant entouré la sortie de son dernier film, J’accuse, pourtant estampillé par des autorités morales telles que Télérama et France Inter, et qui, projeté en catimini, a fini par emporter un indéniable succès public. Quelle ironie.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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