C’était dans la forêt des Beni Melloul, sur le versant sud des Aurès, là où on situait Ksar Roumia, sans doute le dernier poste de l’Ifriqiya romaine avant les étendues présahariennes et les chotts.

Près de quatre mois avant, nous avions, le 31 décembre 1960, rejoint Arris par le col de Aïn Tinn en laissant sur le versant nord des Aurès à droite de la route les ruines de Lambèse et à gauche celles de Timgad. Le lendemain, direction T’Kout, PC Bataillon avec la traversée des gorges de Tighanimine.

Avant de s’engager dans ces gorges, quatre mois encore auparavant, le 12 septembre 1960, un de nos anciens, le sous-lieutenant Raymond Messager, rejoignant sa première affectation, avait été mortellement blessé au cours d’un engagement. C’était là aussi, le 1er novembre 1954, lors de la Toussaint rouge, que le jeune instituteur Guy Monnerot, originaire du Limousin, venu apprendre à lire aux petits chaouias, avait été assassiné avec le caïd Hadj Saddock, musulman fidèle à la France qui avait courageusement tenté de s’interposer pour protéger l’instituteur et son épouse Jeanine - celle-ci, grièvement blessée, survivra.

Dans ces mêmes gorges de Tighanimine, 1.800 ans auparavant, la 6e légion romaine nous avait laissé une inscription gravée dans le rocher attestant qu’elle avait achevé la construction de la route qui franchit les gorges.

Depuis la mort de notre ancien en septembre, les réserves générales, lors de l’opération Ariège, en octobre et novembre, avaient cassé les dernières katibas de la wilaya I, dernier bastion FLN à être traité par le plan Challe. L’implantation militaire du FLN en Algérie se limitait désormais à quelques ferkas (sections) éparses.

Ces succès militaires sur l’ensemble des départements d’Algérie avaient conduit le chef de la wilaya IV, Si Salah, à engager des pourparlers pour un cessez-le-feu avec le gouvernement français, conformément à la « paix des braves » proposée par de Gaulle, le 16 septembre 1959.

Avec ses deux adjoints, il rencontre, le 10 juin 1960, le général de Gaulle à Rambouillet. Celui-ci refuse leur demande de rencontrer Ben Bella qui est en prison.

Il s’agissait pourtant d’une ouverture pour un cessez-le-feu pouvant toucher l’ensemble des maquis de l’intérieur, mais de Gaulle ne veut pas négocier avec eux mais avec le seul FLN - le GPRA basé à Tunis. Cette « affaire Si Salah » sera une des causes du putsch.

Donc, le 21 avril 1961, je suis avec ma section dans la forêt des Beni Melloul quand mon commandant de compagnie m’appelle à la radio : « Nous avons pris le pouvoir à Alger. » Et il approche de la radio le transistor qui diffuse le « Chant des Africains » sur Radio Alger, devenue la voix des « putschistes ».

Ainsi, Madame le Ministre et autres « sachants » du « politiquement correct », ce n’était pas seulement un « quarteron » de généraux et quelques unités de réserve générale, mais également de très nombreuses unités de secteurs et des militaires de tous grades qui espéraient un sursaut pour terminer dans l’honneur cette guerre civile.

Le « Chant des Africains » était le symbole des Français d’Algérie, Européens et FSNA (Français de souche nord-africaine), ces derniers s’étant engagés, harkis, moghaznis ou GMS, par centaines de milliers sous le drapeau bleu-blanc-rouge. Près de vingt ans auparavant, en novembre 1942, certains d’entre eux avaient déjà été mobilisés avec 230.000 « indigènes » et 260.000 « pieds-noirs » dans l’armée Giraud, qui représentait alors 90 % des forces françaises engagées aux côtés des alliés.

Cette armée, commandée par le général Juin, fidèle au gouvernement de Vichy jusqu’à l’arrivée des alliés, avait été préparée pour la revanche par le général Weygand, jusqu’à son rappel sous la pression allemande, puis par Juin lui-même. Cette armée allait s’illustrer dans les campagnes de Tunisie (1942-1943), d’Italie (1943-1944) et de France (1944-1945).

Voilà, ce n’était pas un putsch. C’était la manifestation du désespoir. Et nous ne savions pas encore la honte des « accords d’Évian » jamais respectés par le FLN avec l’approbation tacite de De Gaulle. Nous ne pouvions imaginer les harkis et moghaznis désarmés par traîtrise, interdits - contrairement aux dits accords d’Évian - de se réfugier en France, réduite à l’Hexagone, et livrés au génocide – plus de 100.000 morts FSNA et pieds-noirs –, génocide perpétré par le FLN avec le silence et/ou la complicité honteuse de De Gaulle.

Artisans directs du « putsch » ou soutiens perdus dans le bled, nous n’avons aucun remords, seulement le regret, ineffaçable, de n’avoir pu sauver nos camarades d’arme atrocement torturés, ni nos compatriotes civils, de souche nord-africaine ou « pieds-noirs », hommes et femmes massacrés ou réduits en esclavage.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 25/05/2021 à 22:02.

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23 mai 2021 à 21:39

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