Pourquoi l’armée fait-elle figure de solution miracle, d’ultime refuge et (parfois) de bonne à tout faire

Saint-Cyr

Il manque, en cette rentrée, de profs dans les écoles. Des conducteurs de bus scolaire. Et même du personnel dans les crèches. Comme l’on ne peut pas, à court terme, adopter la méthode radicale des écolos façon Yves Cochet, c’est à dire dissuader totalement les gens de procréer - qui serait pourtant une solution très efficace : plus d’enfant, donc plus de crèches, d’écoles ni de conducteurs de bus scolaires -, on s’arrache les cheveux. À quand, la réquisition de l’armée ? Vous riez… à voir ! En janvier 2022, lors d’un épisode de grève, Sébastien Barles, adjoint au maire de la cité phocéenne, a bien suggéré à la préfecture de faire appel aux soldats, comme elle l’avait déjà fait en 1999 et en 2010.

À Mayotte, il y a quelques jours, le ministre Gérald Darmanin a promis l’ouverture de « lieux de rééducation, de redressement d’une partie des enfants, des adolescents très jeunes », à partir de 13 ans, « des lieux encadrés par les militaires ».

Ultime recours quand tout s'effondre

Certains, comme Éric Ciotti, Valérie Pécresse ou même, à gauche, Samia Ghali (en 2017) ont déjà évoqué l’idée que l'armée puisse être déployée dans les banlieues. On la veut pour protéger contre la menace terroriste, via Sentinelle, on la veut aujourd’hui pour remettre dans le droit chemin les jeunes délinquants, et même les très jeunes délinquants. Elle doit tout à la fois pallier les échecs de la Justice, de l’Éducation nationale et même des familles. Pourquoi ne l’appellerait-on donc pas dans les crèches et les écoles, puisqu’elle devient nounou et la bonne à tout faire ? Mettre une couche, quand on y pense, n'est pas tellement plus compliqué que nettoyer un FAMAS.

Mais pourquoi diantre l’armée est-elle donc devenue ce dernier refuge, cet ultime recours, fiable, corvéable à merci, quand tout le reste, ou presque, s’effondre ? La réponse tombe sous le sens : c’est la seule institution que l’on n’ait pas expurgée de ses valeurs traditionnelles. Que Mai 68 n’ait pas mise à bas. Ce n’est pas faute, pourtant, d’avoir essayé.

Pendant des dizaines d’années, peu ou prou depuis la fin de la guerre d’Algérie, la gauche antimilitariste a conspué ces militaires aux idées aussi courtes que leurs cheveux. Combien ricanaient de leur service et de l’adjudant au front bas qui les avait encadrés. C’était, d’ailleurs, parfois ceux qui avaient été reformés qui en parlaient le mieux. Il fallait voir comment Charlie Hebdo les caricaturait. Parce que tout ce que l’armée représentait était, pour cette gauche, détestable : l’ordre, la discipline, la hiérarchie, la transmission, l’uniforme, l’identité, l’autorité… Pouah !

Saint-Cyr, pépinière de misogynes ou de héros ?

Régulièrement, du reste, on continue de lui chercher des poux dans la tête : en 2019, le député Bastien Lachaud, LFI, s’est ému dans un rapport parlementaire que tant de fêtes religieuses - Sainte-Barbe, Saint-Georges, Saint-Michel, Saint-Éloi… - soient intimement mêlées aux traditions militaires. Tout média a ses marronniers : pour certains, c’est l’immobilier ou les régimes de l’été, pour Mediapart et Libé, c’est les procès en sorcellerie capillotracté contre l’armée, qui reviennent avec une régularité de métronome. Et le calendrier, parfois, a ses ironies : Rappelez-vous, c’était le 24 mars 2018. Libération peaufinait sans doute depuis des semaines son dossier sur les classes préparatoires de Saint-Cyr-l’École. On avait trouvé les témoins à charge, descendu du grenier les vieux amalgames ayant déjà fait leurs preuves, trouvé un titre choc : « Lycée Saint-Cyr : une machine à broyer les femmes »… Allez, les gars, c’est parti, on publie vendredi : les garçons de Saint-Cyr-l’École sont de méchants-misogynes-qui-vont-à-la-messe-en-latin-le-dimanche-à-Versailles-et collent-des-autocollants-de-la-Manif-pour-tous.

France Info, en bonne copine, avait fait le teasing la veille, fustigeant des « élèves masculins, catholiques ultraconservateurs, proches de l’extrême, homophobes, misogynes et donc hostiles à la présence des femmes dans l’armée ». Fermez le ban. Sauf que, ce vendredi matin là, contrairement aux espérances nourries par Libé, l’article n’a fait que peu de temps les gros titres. Toute la France avait les yeux rivés sur un super U de l’Aude où un officier de gendarmerie avait obtenu d’un forcené islamiste de relâcher la caissière de 40 ans, mère d’une petite fille de 2 ans et demi, tenue en otage, en échange de sa personne. Et au terme de trois heures de face-à-face, cet officier y avait laissé la vie, dans les conditions tragiques que l’on sait. Un officier de gendarmerie qui, justement, avait étudié… à Saint-Cyr-l’École. Issu de cette pépinière de « misogynes broyant les femmes », il avait donc sciemment fait don de sa vie pour sauver l’une d’entre elles. En juin dernier, sur une place de la ville de Saint-Cyr-l'École, une statue a même été inaugurée à son effigie.

Bon an mal an, l’armée a résisté à ces assauts. Elle est restée une institution à part, avec ses valeurs archaïques et héroïques, car il est une impossible quadrature du cercle que nul n’a réussi à résoudre : comme faire en sorte qu’un groupe d’hommes marche résolument vers une mort possible pour préserver un bien supérieur à leur propre personne (la patrie) sans leur avoir préalablement inculqué le sens du devoir, du sacrifice, du désintéressement, du bien commun, du sacré, l’ordre, la hiérarchie, la discipline, l'honneur, l’exemple, l’amour du pays ?

Il a donc bien fallu tolérer ses rites, ses codes, ses traditions, ses uniformes, ses marches au pas, ses défilés, ses veillées aux flambeaux, ses commémorations mythiques, ses chants virils, et même ses fêtes votives. Aucune autre jeunesse que celle pétrie de cette farine-là n'accepterait un tel sacrifice si contraire à l’esprit du temps.

Une jeunesse éprise d'idéal

Le militaire n’a pas le droit de grève. Il part régulièrement de longs mois loin de chez lui, y compris à Noël - sans aucune possibilité de retour ni de faire venir sa famille, il n’est pas rare qu’il soit absent pour la naissance de ses enfants -, dans des conditions de confort sommaires. Son mode de vie est celui d’un pêcheur d’Islande qui peut être absent de chez lui la moitié de l’année. Impossible de faire une OPEX au Mali en télétravail ! Il est récompensé de ses exploits non par des primes mais par des décorations et des citations purement honorifiques qui n’ont aucune valeur sonnante et trébuchante. Il est de notoriété publique qu’il n'est pas très bien payé, mais il se suffit du prestige lié à son grade, qui continue à lui ouvrir les portes de toutes les couches de la société. Le fiasco du logiciel de règlement des soldes LOUVOIS, sources de problèmes financiers graves, est révélateur : seule l’armée pouvait supporter ce dysfonctionnement au long cours sans se soulever ni descendre dans les rues. Et malgré cet esprit d’exigence et de sacrifice, peut-être à cause de cet esprit d’exigence et de sacrifice, l'armée arrive encore à recruter quand l’Éducation nationale rame.

Après le Bataclan, l’armée a vu se lever et frapper à sa porte toute une belle jeunesse éprise d’idéal, prête à se battre pour son pays… preuve qu’elle existe encore, pour peu qu’on sache la faire vibrer.

Ce n’est pas l’armée qu’il faut aller chercher dès que ce pays fait un pet de travers ou souffre d'un ongle incarné, mais les valeurs qu’elle seule a conservées. Pour les réhabiliter. Dans le cinéma, par exemple : Top Gun ferait figure de navet à côté d’un beau film sur Saint-Cyr. À la télé et sur les réseaux sociaux aussi : en 2016, l’émission de télé-réalité « Garde à vous » avait rencontré un franc succès, rendant célèbre le maître principal Marius, enfant de l’assistance publique de Marseille et ancien petit délinquant devenu béret vert : « Ma manière de fonctionner est simple : une limite gauche, une limite droite. Celui qui sort de cet axe, je le remets dedans à ma manière ! » En décembre dernier, le chœur de Saint-Cyr avait ému des milliers de téléspectateurs et remporté le premier prix de l'émission « La France a un incroyable talent ».

Il faut surtout importer les valeurs de l'armée à l’école, bien sûr, où discipline, autorité, rigueur, transmission, identité… - et pourquoi pas uniforme ? - doivent être remis à l'honneur. Tiens, c’est justement la rentrée !

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

52 commentaires

  1. Bien vu , Gabrielle Cluzel , mais il semble bien que nos militaires devront avoir , dans l’état actuel des choses , un rôle primordial à tenir pour éviter l’effondrement complet de la France .

  2. chacun son metier, l’armée n’est pas la bonne a tout faire de la france. ou alors donnons des ordres clairs et précis a executer mais il y aura surement des grincements de dents. PAR STE BARBE VIVE LA BOMBARDE

  3. L’armée est toujours mise à toutes les sauces: poubelles, paille, marée noire, aide aux potentats africains, son budget sert de variable d’ajustement, elle fait toujours plus avec moins, elle est adulée dès qu’on en a besoin et surtout: « Circulez, y a plus rien à voir » dès que le problème est passé.

  4. Dans les années 70, les militaires devaient quitter le travail le soir pour rentrer chez eux en civil. L’uniforme restait dans les bureaux. Cela pour ne pas se faire insulter dans la rue. A croire que c’est une mode.

  5. déjà , il y a « quelques années » le militaire se chargeait de remplacer l’éboueur en grève .(certes des appelés ) ..aujourd’hui , ils répondent présents lors de catastrophes (inondations etc …) le militaire a des principes , n’en déplaise à la NUPES and C° .Mr Macron les a humiliés souvent « ..je suis votre chef .. » et que penser , de leur ancien ministre ,Mme Parly ..accusant les anciens ,qui prévenaient dans une tribune , des dangers à venir …(d’ailleurs ,il est très intéressant .de voir la fiche wiki , de cette dame …)

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