Politiquement correct : vers la fin du politique ?

Éric Zemmour : « C’est le grand effacement de l’Histoire pour correspondre au grand remplacement des populations »

Depuis les remous suscités, en 2006, par la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo à la récente ouverture d'une enquête à l'encontre d'Éric Zemmour suite à son discours prononcé lors de la Convention de la droite, l'actualité française ne cesse de nous rappeler combien notre rapport au politique semble, aujourd'hui, profondément embrouillé sous l'effet d'un politiquement correct dont la puissance coercitive nous apparaît chaque jour davantage, à notre plus grand effarement...

Avec la Révolution française, notre pays fut pourtant moteur d'une évolution qui allait généraliser une vision de la chose publique centrée sur la valeur unanimement reconnue à la raison et, partant, à la libre discussion des opinions. Malgré l'évident progressisme niché au cœur du projet républicain, nul n'aurait eu l'idée, au siècle dernier, à l'exception des adeptes de l'idéologie communiste, d'en appeler à un quelconque bien supérieur pour refuser la parole à un polémiste ou pour enjoindre à des journalistes d'omettre quelque information jugée « stigmatisante ».

Il est cependant devenu courant, aujourd'hui, de voir des journalistes, des hommes politiques ou des éditorialistes refuser a priori de débattre de questions soulevées par un confrère ou un adversaire politique au prétexte que celui-ci s'éloignerait de « valeurs » supposément républicaines, mais dont la définition sans cesse plus extensive en subvertit le sens. Il y a quelque chose de religieux dans leurs imprécations : gardiens zélés de leur foi, ils rejettent le « réactionnaire » comme jadis ils eussent persécuté l’hérétique. La réaction indigne de la SDJ (Société des journalistes) du Figaro, qui a récemment appelé à l'exclusion du journal de leur collègue Éric Zemmour, en est le consternant témoignage. Mais c'est la réduction même du champ politique à un conflit de valeurs qui pose problème, en ce qu'elle limite de plus en plus notre capacité collective à débattre véritablement des enjeux contemporains, puisqu'ils ne sont plus guère appréhendés à travers une argumentation contradictoire et rationnelle, mais sous l'angle d'un présupposé moral tout-puissant.

À quoi doit-on cette percée inouïe du dogmatisme au sein de sociétés occidentales pourtant de longue date sécularisées ? Le recours au terme de « politiquement correct », pour répandu et pratique qu'il soit, échoue cependant à caractériser ce long cheminement qui voit nos sociétés basculer du débat au dogme, de la raison à la vérité et du politique au religieux. La journaliste et essayiste Natacha Polony évoquait, dans son ouvrage Bienvenue dans le pire des mondes, paru en 2016, l'avènement d'un « soft totalitarisme ». Le terme peut, à première vue, paraître étrange à une époque où les libertés individuelles ne semblent plus connaître de limites, mais songeons que ce totalitarisme ne sera peut-être pas le fait d'un tyran sanguinaire et omnipotent, archétype du « fasciste » que l'on débusque aujourd'hui à chaque coin de rue, mais celui d'un amas d'individus dont le panurgisme effrayant pourrait sans mal accoucher d'une tyrannie d'autant plus redoutable qu'elle serait consentie par une majorité, ainsi que le pressentait déjà Alexis de Tocqueville au XIXe siècle.

Laurent Chauvet
Laurent Chauvet
professeur d'histoire-géographie

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