Point de vue : la prise de conscience du réchauffement climatique est bien antérieure aux années 1970
Publiée le mercredi 20 octobre dans la revue Global Environmental Change, une étude réalisée par les chercheurs français Christophe Bonneuil, Pierre-Louis Choquet et Benjamin Franta à partir d’anciennes archives a mis en évidence que la prise de conscience climatique dans les principales compagnies pétrolières remonterait au début des années 1970. La plupart des ONG fondamentalistes sont donc parties en croisade contre le monde des hydrocarbures, considérant qu’il avait « détourné les yeux, instillé le doute sur la véracité des données scientifiques et retardé toute politique de lutte ambitieuse contre le réchauffement climatique ». Elles ont été relayées par France 2, qui a titré son dernier « Complément d’enquête » « La fin des rois du pétrole ».
Le passé offre une source intarissable de données permettant d’expliquer en partie le présent et de se projeter dans l’avenir. Encore faut-il interpréter ces données de façon pertinente en les replaçant dans leur contexte historique propre et en évitant toute extrapolation hasardeuse. Un contexte historique n’est pas seulement synonyme de faits. Ils se caractérise aussi par un ensemble de circonstances, de connaissances, de perceptions et de ressentis. Des faits identiques dans des contextes différents conduisent généralement à des comportements, des jugements et des prises de décision différentes, voire même opposés. Ainsi, face à des situations identiques, le comportement d’un individu en temps de guerre ou en temps de paix peut être radicalement divergent. Le pire est donc de vouloir réécrire le passé avec la connaissance du présent. Largement biaisée, la démarche s’avère très peu pertinente et conduit dans la plupart des cas à des interprétation erronées.
La théorie chimique de combustion des hydrocarbures date du début du XXe siècle
La paternité de l’effet de serre ne revient pas à aux pétroliers « peu scrupuleux » des années 1970 mais au chimiste suédois Svante Arrhenius qui, en 1896, fut le premier à clamer que la combustion des énergies fossiles pouvait avoir comme conséquence une augmentation de la température du globe. Nos « historiens en herbe » auraient peut-être dû rechercher dans les archives pétrolières de la Standard Oil ou de la Royal Dutch du début du XXe siècle une antériorité de réchauffement climatique. Faut-il peut-être encore davantage d’antériorité pour les convaincre ? La théorie chimique de combustion des hydrocarbures date du milieu du XIXe siècle. Bien avant la Première Guerre mondiale, un étudiant lambda de seconde année ingénieur pouvait donc calculer sans difficulté les émissions de gaz carbonique (CO2) générées par la combustion des énergies fossiles alors consommées. La formulation « dès 1971, une publication dans une revue pétrolière expliquait que la combustion d'énergies fossiles conduit à la libération de quantités énormes de gaz carbonique et à une augmentation assez préoccupante de la quantité de gaz carbonique dans l'atmosphère » peut donc prêter à sourire. Rappelons que dès la fin des années 1950, le chercheur américain Roger Revelle (qui fut le professeur d’Al Gore à San Francisco) avait parfaitement identifié les échanges de CO2 entre l’atmosphère et l’océan (30 % du CO2 rejeté dans l’atmosphère est absorbé par les océans et 10 % par la biosphère), tandis que le géochimiste Charles Killing avait, à cette même époque, commencé de mesurer à l’observatoire de Mona Loa l’évolution de la teneur en CO2 dans l’atmosphère. Et surtout, en 1971, le secrétaire général de l’OCDE, Gérard Eldin, avait devant un aréopage de personnalités politiques jeté « un pavé dans la mare » en résumant, dans un discours resté célèbre, la pensée scientifique de l’époque : « Un doublement des quantités de CO2 dans l’atmosphère [ ] provoquerait une augmentation moyenne de la température de la surface de la Terre de 2 °C. » Sauf erreur ou omission de notre part, ni Arrhenius, ni Revelle, ni Baldin, ni même Killing ne sont cités dans l’article de « Global Environmental Change ».
Incompétence plus que analyse historique sérieuse
En mentionnant, durant les années 1970 et 1980, dans leurs revues internes, le risque de réchauffement climatique lié à l’accroissement des gaz à effet de serre, les compagnies pétrolières ne faisaient que rapporter ce que toute la communauté scientifique mais aussi le monde politique étaient censés connaître. Ces revues diffusées en interne comme en externe de ces compagnies à plusieurs milliers d’exemplaire prouvent, au contraire, la bonne foi et non le mensonge, comme le laisse entendre l’étude. L’accusation par contumace tient donc davantage de l’incompétence que d’une analyse historique sérieuse. Si la problématique avait été identifiée, sa maturité scientifique (le GIEC ne sera créé que vingt ans plus tard et la véritable prise de conscience mondiale date de la COP15 de Copenhague) mais surtout sociétale était largement insuffisante pour qu’elle puisse être entendue par l’opinion publique. Il est, d’ailleurs, intéressant de noter que dans le rapport Meadows qui date de 1972 et qui est reconnu comme le texte fondateur de l’écologie politique (pas davantage cité dans l’article de nos apprentis historiens), le réchauffement climatique n’est pratiquement pas mentionné.
Replaçons-nous dans l’état d’esprit de la fin des Trente Glorieuses et des deux chocs pétroliers et imaginons, rétroactivement, une ou plusieurs de ces compagnies pétrolières lançant une « alerte climatique » et proposant l’arrêt de toute exploration et développement pétrolier et gazier, une réduction drastique de la consommation d’énergie ou encore une taxe carbone. Quelques années après Mai 1968, à une époque où les voitures consommaient 15 l/100, on peut douter que l’alerte ait été prise très au sérieux !
S’il est vrai que la lâcheté est parfois associée à certaines décisions industrielles et politiques, vouloir réécrire l’Histoire des années 1970 et 1980 en accusant les pétroliers de « mensonge climatique » relève d’une niaiserie extrême. Il s’agit tout simplement d’une tentative supplémentaire destinée à instrumentaliser le débat climatique pour attaquer cette société de croissance que les climato-gauchistes haïssent au plus haut point.
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