Pédophilie dans l’Église : les explications bien commodes du Monde et de Nancy Huston

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Le scandale est immense et, comme le disait ici le père Venard, la crise sera profonde et durable. Quant aux faits – d'abus sexuels comme de « camouflage » -, ils ne sauraient faire l'objet d'aucune relativisation ni d'aucune excuse. Le Monde, et tous les chrétiens, attendent des actes forts, et pas seulement symboliques. L'Église ne pourra pas, en France comme partout ailleurs, faire l'économie de changements profonds. Et de changements de têtes.

Il est normal que l'on s'interroge, à tous les niveaux – fidèles, presse, institution, universitaires –, sur les causes de la pédophilie dans l'Église, et son « camouflage ». Il y a certainement des causes structurelles et l'examen des structures sera indispensable. Mais l'analyse, rationnelle et sans concession, ne doit pas être orientée par des motifs idéologiques et politiques. Or – et c'était inévitable –, certains ne s'en privent pas. Deux exemples, dans deux articles publiés ces jours-ci par Le Monde.

Le premier est une tribune signée par la romancière Nancy Huston : "“François, arrêtez le massacre” : la supplique de Nancy Huston au pape sur la pédophilie." Et sa supplique est sans détours : pour « arrêter le massacre », il faut que le pape mette fin à l'obligation de célibat des prêtres. La pédophilie serait la conséquence de leurs frustrations affectives et sexuelles et de leur « peur ».

« La raison est là, évidente, flagrante comme le nez au milieu du visage. Pourquoi s’en prennent-ils de façon si prépondérante aux enfants et aux adolescents ? Non parce qu’ils sont pédophiles – la proportion de vrais pédophiles parmi les prêtres est sûrement aussi minuscule que dans la population générale – mais parce qu’ils ont peur, et que les plus jeunes sont les plus faibles, les plus vulnérables, les plus faciles à intimider, les moins aptes donc à les dénoncer. »

L'analyse se défend. Et vu les circonstances, la question du célibat des prêtres sera inévitablement abordée.

Mais la question n'est-elle pas plutôt celle du recrutement des prêtres, de l'évaluation de leur aptitude et de leur équilibre pour vivre un célibat choisi ? On connaît, par ailleurs, les réponses à cette solution miraculeuse : quid de la pédophilie des pères de famille ? Et quid de la vie de célibataire choisie, ou subie, par certains hommes, qui ne sombrent pas pour autant dans les crimes en question ?

Mais, surtout, Nancy Huston, si elle a raison d'affirmer que ce que l'on sait de ces affaires n'est "que la pointe de l’iceberg", n'hésite pas, se laissant emporter par son émotion, à parler des "millions" d'enfants victimes de la pédophilie. Il ne s'agit pas de relativiser en ergotant sur les chiffres. Mais "des millions d'enfants", non, ce n'est tout simplement pas possible. Je laisse aux sociologues et aux mathématiciens le soin d'en envoyer la démonstration aux Décodeurs du Monde.

Le même journal a longuement évoqué l'affaire chilienne dans une enquête de Cécile Chambraud : "L’Église chilienne et la loi du silence." Le second volet éclaire la période de « camouflage » par la hiérarchie catholique chilienne. Et là, par petites - ou très grosses – touches, l'explication se fait politique : ce serait une « Église » verticale, conservatrice - de droite, quoi - qui aurait couvert les abus de ce père Karadima aujourd'hui au centre du scandale. Par opposition à l'Église d'avant du cardinal Raúl Silva Henríquez, "incarnation d’un fort engagement social".

Le message du Monde n'est même plus subliminal : la gauche était bien du côté des opprimés, y compris des pauvres enfants victimes des prêtres pédophiles tandis que ces derniers provenaient des milieux conservateurs et furent protégés par eux...

Si aucune explication ne doit, a priori, être écartée, celle-ci semble très fragile, en tout cas franchement idéologique, et malheureusement éloignée de la réalité du phénomène. Les épiscopats progressistes, comme ceux de la France et de l'Allemagne, n'ont pas été épargnés par ces crimes et ces « camouflages ».

Progressistes et conservateurs auront, dans les années qui viennent, certainement mieux à faire que d'instrumentaliser cette tragédie.

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Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

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