Patrick Devedjian n’est plus. L’occasion de se souvenir de son parcours, fait de contradictions et de rancœurs, ici salué par Jean-Yves Le Gallou.

Bref, le défunt était aussi – et surtout ? – la somme de ses propres incohérences ; inévitable lot de la nature humaine. La famille explique souvent beaucoup. La sienne, arménienne ayant fui les massacres turcs au début du siècle dernier, demeure sa matrice qui l’amène à penser que la marche de l’humanité tendrait à se résumer à un affrontement eschatologique entre islam et chrétienté.

C’est à ce prisme un peu hâtif qu’il considère la guerre d’Algérie, prisme qui conditionne ses choix politiques à venir. C’est donc tout naturellement qu’il rejoint les rangs du mouvement Occident en 1964, à tout juste vingt ans. C’est l’époque où la cause palestinienne, guerre froide oblige, a tendance à se fondre, au moins vu de loin, dans celle de l’URSS. D’où ses tropismes atlantiste et sioniste à venir. Il n’est pas le seul dans ce cas, des Alain Madelin et autres Hervé Novelli ne raisonnaient pas autrement alors et continuent de faire de même aujourd’hui.

Seulement voilà, le compagnonnage tourne court : en 1967, ses camarades en barres de fer l’accusent d’être une « taupe » et le bousculent plus que sévèrement. Pis que la punition physique, il y a le traumatisme du bannissement. Si Patrick Devedjian change à ce moment d’entourage, il paraît conserver les mêmes idées ; un temps, tout au moins, même si en voie d’évolution, suite à la rencontre du philosophe Raymond Aron.

Il devient ensuite l’un des fondateurs du RPR en 1976, avant de briguer la mairie d’Antony en 1983. Là, dans cette municipalité plus rouge que rouge, ses anciens amis turbulents ne seront pas de trop pour tenir à distance un service d’ordre communiste dont la réputation n’est plus à faire… Pour adjoint à la Culture, il enrôle le Jean-Yves Le Gallou plus haut évoqué avant que ce dernier ne rejoigne le Front national, deux ans plus tard.

On notera qu’en 1983, lorsqu’une coalition chiraco-lepéniste ravit la mairie de Dreux, Patrick Devedjian fait partie de ceux, avec Simone Veil, qui stigmatisent de telles alliances. Pourtant, les fondamentaux politiques du FN relèvent encore d’une virulence anticommuniste ayant tout pour le séduire. Mais non. Les souvenirs des humiliations subies du temps d’Occident étaient-ils les plus forts ? Peut-être que oui.

Pourtant, l’homme se révèle encore plus complexe en devenant l’avocat de certains membres de l’ASALA, Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie, organisation terroriste d’obédience marxiste qui n’hésite pas à s’allier avec le PKK kurde, lui aussi sous influence communiste, au nom de la lutte contre l’État turc, tout en s’entraînant dans les camps de l’OLP dont le chef n’est autre qu’un certain Yasser Arafat. Ça fait beaucoup, avec anticommunisme pour seule feuille de route.

Cette ASALA n’a rien d’une amicale bouliste, s’étant rendue coupable de 84 attentats ayant causé la mort de 46 personnes. Leur fait d’armes majeur ? La pose d’une bombe à l’aéroport d’Orly au guichet de la Turkish Airlines, le 15 juillet 1983. Bilan : huit morts. Tout cela peut se plaider à condition d’avoir du talent. Ça tombe bien, Patrick Devedjian en a.

En 1992, notre homme se distingue encore en étant l’un des rares parlementaires du RPR à voter en faveur du traité de Maastricht. Il sera encore de ceux qui, peu après, rallient Édouard Balladur. Sauvé des eaux par Jacques Chirac en 2002, il devient sarkozyste du premier cercle, zèle qui ne sera pas récompensé en 2007, son nouveau champion lui préférant Rachida Dati à ce poste de garde des Sceaux qu’il convoitait tant.

« Je suis pour un gouvernement d’ouverture, y compris aux sarkozystes, c’est tout dire ! » lance-t-il alors. Une fois de plus, l’amoureux déçu. Qui accuse le coup venu de son ami Nicolas, peut-être encore plus durement que ceux reçus, naguère, par ses amis d’Occident.

Mai 68 a commencé par une descente d’Occident à Nanterre, faculté située sur le territoire des Hauts-de-Seine dont il présida le conseil, de 2007 à sa mort. On n’échappe jamais vraiment à son passé.

Le sien, pour complexe qu’il fût, n’en était pas moins assez honorable.

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30 mars 2020 à 21:25

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